Entretien avec Madame Madeleine Nguyen-The, consultante-formatrice en commerce international, cabinet « International Pratique »
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie Radu, Dr. en droit, Altaprisma
(formations douane, transport & logistique à l'international)
Paris, le 11 avril 2016
Altaprisma : Merci d’avoir accepté l’idée et trouvé le temps nécessaire de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
M. Nguyen-The : Merci à vous de me solliciter pour enrichir votre cycle d’entretiens forts intéressants.
Après une belle expérience de 10 ans en entreprise en tant que praticienne des opérations internationales (ADVE, puis responsable des opérations Import, notamment au sein de la société Majorette), j’ai créé en 1990 ma structure d'assistance et d’organisation en commerce international, « International Pratique », dont la vocation est d'assister les entreprises dans la gestion de leurs opérations import et export, de réaliser des audits des services administratifs, logistiques et douaniers, suivis de leurs plans d'actions, et, bien entendu, de former à la pratique du commerce international. Parmi mes domaines de prédilection : la douane !
Altaprisma: Sur le plan douanier, l’origine peut se définir comme un lien géographique et économique qui unit la marchandise à un pays dans lequel elle a été produite ou fabriquée. Dans la pratique du commerce international, à quoi sert de connaître avec exactitude le pays d’origine du produit ?
M. Nguyen-The : L’origine est, avec la nomenclature douanière et la valeur, un des trois piliers fondamentaux de la règlementation douanière. Le couple nomenclature douanière/origine nous permet notamment d’accéder au taux de droit de douane et autres taxes en vigueur dans le pays de destination, de connaître l’ensemble des contraintes pour exporter ou importer (documents, formalités, marquage, étiquetage, embargo, etc.) ; ces paramètres alimenteront également les statistiques du commerce extérieur.
L’origine est utilisée par les Etats pour réguler les échanges : décidons-nous d’ouvrir ou de fermer les frontières pour ce produit ?
Exemple : j’importe des tubes, tuyaux et profilés creux, en fonte, classés sous la nomenclature douanière 7303001010. En Union européenne, nous fabriquons encore ce produit ; nous décidons donc de le taxer à 3.2 % en 2016. Toutefois, nous décidons d’aider les pays en développement à s’industrialiser. L’Inde fait partie de cette liste de pays en développement. Je décide donc d’acheter ces produits originaires d’Inde afin de bénéficier d’une exemption totale de droits de douane. L’origine permet ainsi d’ouvrir les frontières au grand bonheur des industriels utilisant ces tubes en fonte dans leur fabrication.
Mais en parallèle, cette mesure lèse des fabricants en Union européenne, qui portent plainte et exigent des droits anti-dumping afin de freiner les importations en provenance de certains fournisseurs indiens qui pratiquent une concurrence déloyale : en septembre 2015, l’UE décide de freiner l’importation de ces produits indiens en leur appliquant des droits anti-dumping de 14.10 %. Cette même origine indienne est utilisée pour fermer les frontières au grand bonheur des fabricants de tubes et tuyaux en fonte.
Pour répondre clairement à votre question : « à quoi sert de connaître avec exactitude le pays d’origine du produit » ? En tant qu’importateur… à choisir mes bonnes sources d’approvisionnement ! L’origine est par conséquent une donnée que je dois absolument connaître en amont de ma procédure Achats (que l’acheteur soit en UE ou dans un pays client).
Sans oublier qu’une fraude à l’origine se traduira par le remboursement des droits et taxes éludés le cas échéant + amende selon les pays et sur le délai de prescription prévu par la loi (en UE, le nouveau Code des douanes de l’Union permet aux autorités de remonter à 10 ans dans certains cas…). Les clients sanctionnés par leur douane à cause d’une origine mal déclarée par leur fournisseur ne manqueront pas de répercuter les surcoûts à leur fournisseur.
Altaprisma: La détermination du pays d’origine de la marchandise pose beaucoup de problèmes aux opérateurs économiques œuvrant à l’international. Non seulement c’est le pays d’accueil qui détermine les conditions d’attribution de l’origine, mais en plus il faut tenir compte de la complexité de la réglementation en la matière, comprendre la distinction entre l’origine non préférentielle et préférentielle, bien maîtriser la notion de transformation substantielle et celle de transformation suffisante, mais aussi la notion de produits suffisamment ouvrés ou transformés. Il faudrait aussi comprendre les critères techniques de détermination de l’origine (4SH, listes, ad-valorem), sans oublier la règle de tolérance, de cumul d’origine, de transport direct, etc. Comment un opérateur économique pourrait-il se retrouver dans toutes ces normes et notions ? La notion d’origine des marchandises n’est-elle pas devenue trop complexe, au point de piéger un bon nombre d’entreprises pratiquant le commerce international ?
M. Nguyen-The : Je reconnais bien là le spécialiste de l’Origine ! Vous avez listé tous les paramètres qu’il convient de maîtriser pour déterminer l’origine d’un produit et n’ai rien à ajouter, si ce n’est qu’il nous faudrait un autre entretien pour reprendre en détail tous ces points !
Ces questions, je dois me les poser à chaque fois que je déclare une origine sur ma déclaration douanière import et à chaque fois que je déclare une origine sur une facture export, un certificat d’origine ou un certificat EUR1 ou EURMED, par exemple. La complexité est telle que oui, il est facile de piéger les entreprises qui ne disposent pas d’expert en interne ou d’outils informatiques pour les aider dans cette tâche. Et oui, en cas de contrôle douanier, l’Administration trouve souvent à redire… Surtout lorsque le contrôle touche l’origine déclarée dans le cadre d’accords préférentiels qui permettent à l’importateur de payer moins ou pas de droits de douane. Ou, comme dans l’exemple plus haut, lorsque de l’origine découlent des droits anti-dumping. La douane veille au grain. N’oublions pas sa première mission : protéger les intérêts économiques de son pays.
Par ailleurs, la maîtrise de l’origine est exigée au moment de signer des contrats de confiance avec la douane en vue d’obtenir des allègements de procédure : statut d’exportateur agréé (pour remplacer les EUR1/EURMED papier par des déclarations d’origine sur facture), mise en place d’une procédure simplifiée de dédouanement ou bien demande de statut d’Opérateur Economique Agréé (OEA).
Altaprisma: Le renseignement contraignant sur l’origine (RCO) est présenté souvent par les autorités comme la « solution miracle » quand les doutes s’installent concernant la déclaration de l’origine à faire. S’agit-il d’un dispositif efficace ?
M. Nguyen-The : Le RCO est en effet un moyen d’obtenir de la part de l’Administration des douanes la validation de l’origine de notre produit, dans le cadre d’un flux particulier (import ou fabrication de tel produit, fabriqué à tel endroit, de telle manière, en vue d’être exporté vers tel pays). Vu le nombre de combinaisons possibles dans une entreprise, il nous faudrait déposer des centaines voire des milliers de RCO. Or, la Douane française ne reçoit que 150 demandes en moyenne par an ! Contre environ 6500 à 8300 RTC (renseignement tarifaire contraignant) par an, le pendant du RCO en matière de classement tarifaire.
Pourquoi si peu de demandes de RCO ? Par méconnaissance. Peut-être aussi parce que la demande exige que nous dévoilions nos « recettes de fabrication ». A noter que pour l’heure, ces informations restent confidentielles. Le délai d’obtention peut freiner : 120 jours maximum avec le nouveau Code des Douanes de l’Union (150 jours à ce jour), sauf à être Opérateur Economique Agréé ; les entreprises certifiées OEA devraient en effet être prioritaires.
L’avantage du RCO est, qu’une fois validé par une douane de l’UE, il lie l’ensemble des douanes de l’UE. C’est une sécurisation indéniable en cas de contrôle. Il est bien entendu gratuit.
Mais il ne concerne qu’un produit déterminé pour un flux déterminé. Le moindre changement dans la composition du produit peut changer la donne et le RCO ne peut plus être invoqué. De même qu’il n’est pas opposable aux douanes des pays tiers à l’UE.
Avec le nouveau Code des douanes de l’Union (CDU) qui entre en application au 1er mai 2016, il devient aussi contraignant pour son titulaire. En cas de désaccord, l’entreprise est quand même obligée de suivre l’avis de la douane en attendant de solutionner le problème.
Par voie de conséquence… le CDU 2016 nous oblige à porter les références des RCO (et des RTC) sur nos déclarations douanières. Il va falloir s’organiser en interne pour que le déclarant en douane détienne l’information lors du dédouanement. Paramétrage sur les factures au regard de chaque référence ? Lettre d’instructions au prestataire ?
Cela dit, déposer des RCO pour certains produits complexes ou stratégiques est un moyen fiable de bien comprendre les règles de détermination d’origine et partant de là, de mieux les appliquer sur l’ensemble des autres produits de l’entreprise. Nous espérons simplement que la DGDDI étoffera son service E1 chargé des RTC/RCO.
Altaprisma: Dans la pratique, comment déterminer le pays d’origine des marchandises ? Quels seraient les outils pour aider à la détermination de l’origine ? Comment s’organiser en interne pour accompagner ce mouvement ?
M. Nguyen-The :
Rappelons les objectifs visés :
- à l’import, ne pas être accusé de fraude à l’origine ;
- à l’export, faciliter la tâche des services qui établissent les déclarations et
certificats d’origine ;
- optimiser les flux industriels et logistiques ;
- gagner en compétitivité.
1. La première chose qu’il convient de faire, est d’étudier l’impact de l’origine sur les pays de destination (import en UE, ou import dans les pays clients). Impacts en matière de marquage d’origine des produits ou de droits anti-dumping le cas échéant (origine non préférentielle), impacts sur le taux de droits de douane (origine préférentielle). Tenir compte des volumes concernés et donc, des risques encourus afin d’affecter les bonnes ressources.
2. Si l’origine est une problématique majeure dans l’entreprise : désigner un référent Origine et créer des passerelles entre pôles Achats et Ventes (à trop vouloir réduire le prix de revient en s’approvisionnant à l’étranger… je peux faire perdre à mon produit l’origine préférentielle UE et à mon client, son exemption de droits de douane…). Intégrer la problématique Origine en amont des choix industriels et logistiques permet à l’entreprise d’être plus compétitive. Pour conserver une origine préférentielle UE par exemple, dois-je acheter moins cher ? Dois-je vendre plus cher ? Dois-je revoir mon process de fabrication ?
3. Produits « Négoce » : exiger de la part des fournisseurs l’origine de leurs produits en fonction des flux de réexport. Paramétrer cette origine dans le système afin qu’elle suive le produit jusqu’à sa vente. En précisant le caractère de l’origine déclarée « préférentiel » ou « non préférentiel ».
4. Produits « Fabriqués » : exiger de la part des fournisseurs l’origine des matières et composants. Créer des fiches Origine par produit avec les éléments nécessaires à la détermination de l’origine selon les règles d’origine applicables (selon la règle, pourcentage de matières non originaires, pourcentage de valeur ajoutée, prix de vente départ usine et pays où se trouve l’usine, nomenclatures douanières des matières, nature de l’ouvraison/transformation…). Paramétrer cette origine et son caractère dans le système afin qu’elle suive le produit jusqu’à sa vente. Exemples : référence article xyz – désignation – code douanier – origine : UE/FR « preferential », ou bien origine : TN (Tunisie) « not preferential », ou bien origine : TN « preferential » (dans le cadre de l’accord Paneuromed).
5. En fonction des volumes à traiter, un fichier Excel peut suffire pour « calculer » les origines. Dans le cas contraire, plusieurs outils sont proposés sur le marché : module GTS de SAP, logiciel EVA de Anton.biz, MIC Solutions, Integration Point. Un bémol toutefois : ces logiciels permettent de calculer uniquement l’origine préférentielle en fonction du pays cible. Si le pays cible n’a pas signé d’accord préférentiel ou bien si l’origine préférentielle n’est pas acquise, les clients exigeront peut-être de connaître l’origine dite « non préférentielle »… ce que ne traitent pas ces logiciels.
6. Si doute, déposer des RCO auprès de la DGDDI (formulaire en format Pdf Actif en attendant sa dématérialisation sur Pro.douane.gouv.fr, téléservice Soprano).
7. Garder le cap :
Suivre les modifications des processus industriels et logistiques qui impacteraient l’origine.
Suivre les nouvelles exigences clients/pays/produits.
Suivre les nouvelles réglementations en matière d’origine : textes, accords, règles…
Le mot de la fin
M. Nguyen-The : Mais l’origine… c’est sans fin ! La matière douanière n’est pas figée, c’est aussi ce qui la rend passionnante. Surtout quand l’entreprise a compris que ces paramètres douaniers, et tout particulièrement l’origine douanière, sont à prendre en compte dans la stratégie de l’entreprise. Le plus en amont possible des choix industriels, commerciaux, logistiques. Ce n’est pas qu’une simple donnée à saisir sur une facture ou une déclaration douanière en bout de chaîne !
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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Laba Tine (mardi, 16 février 2021 15:54)
Merci bien des éclaircissements faits à notre profit Madame.Je suis jeune doctorante en droit public à la Faculté des Sciences juridiques et Politiques de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.Au moment où je vous écris,j'effectue des recherches sur un sujet assez pointu dans la mesure où il porte sur un domaine qui n'est pas trop expérimenté.C'est:L'harmonisation des règles d'origine préférentielles dans la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF).Sur ceux,nous vous sollicitons Madame un apport documentaire pour mieux assimiler les questions périphériques à notre objet d'étude.