Entretien avec Monsieur Stéphane Dervieux, Responsable Transports & Douane
du Groupe Simone Pérèle
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie Radu, Dr. en droit, Directeur d’Altaprisma
(formations douane, transport & logistique à l'international)
Paris, le 19 février 2016
Altaprisma : Merci d’avoir accepté l’idée et trouvé le temps nécessaire de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
S. Dervieux : Titulaire d’un BTS action commerciale, j’ai effectué en 1984, un peu par hasard, mes premiers pas dans le monde du transport et douane au sein d’une petite structure, THOR à Roussillon (38), avec déjà une orientation textile. Convaincu que le monde du commerce international était LE secteur d'activité vers lequel j'étais attiré, j'ai rejoint le groupe américain Playtex (marques Playtex, Cacharel lingerie, Wonderbra) en 1989, du côté de La Tour du Pin (38). Totalement novice en matière douanière, j'ai eu la chance de suivre de nombreuses formations auprès de différents organismes (CCI locale, CEGOS, AFT IFTIM, ODASCE, etc.). Départ ensuite pour la Touraine, en 2000, où j’ai créé de toute pièce le service Transport et Douane de KAMI, plate-forme industrielle et logistique dédiée à plusieurs marques du groupe LVMH (Kenzo, Christian Lacroix, Givenchy, Céline, Louis Vuitton uniformes). Nous avons obtenu en 2008 le statut d’Opérateur Economique Agréé (OEA) pour la marque Kenzo, ainsi qu’un agrément d’entrepôt sous douane. La fin de l’aventure en Touraine a pourtant été quelque peu brutale, et, comme tout malheur est bon, ce fut l’opportunité de quitter le monde des chargeurs pour celui des transporteurs. La FNTR, première Fédération Nationale des Transporteurs, m’a formidablement bien accueilli. J’ai eu le grand privilège d’occuper le poste de Délégué International et Douane ; cette commission représente les métiers d’organisateurs et de commissionnaires de transport multimodaux internationaux, ainsi que les activités de la commission en douane. Sans doute plus provincial que parisien, j’ai quitté, à regret, la rue Ampère en 2013, pour revenir à mes premiers amours, le monde de la lingerie, en acceptant un poste de responsable Transports & Douane au sein de la société Simone Pérèle. Après toutes ces années, et en dépit de quelques embûches, ma passion pour ce métier profondément humain est restée intacte ...
Altaprisma: Ces derniers temps, la matière douanière devient de plus en plus « à la mode » au sein des entreprises tournées à l’international. Rares sont celles qui ne se sont pas posé des questions sur le statut d’Opérateur Economique Agréé, ou bien sur le nouveau Code des douanes de l’Union (CDU), applicable dans tous ses éléments à partir du 1er mai 2016. Cela étant, il est d’usage de dire que les blocages sont fréquents entre le Responsable douane de l’entreprise et son hiérarchie. Qu’en est-il vraiment ? Quel est votre ressenti sur le terrain ? Les mentalités commencent-elles à changer ?
S. Dervieux : En arrivant chez l’une des plus belles vitrines de la corseterie française, et bien avant de parler de simplification douanière, notre direction industrielle a souhaité la réalisation d’un audit sur nos opérations douanières. Comme dans beaucoup d’entreprises, la matière douanière était principalement appréhendée à travers le prisme d’un blocage en douane d’une marchandise « urgente », ou lors d’un contrôle à posteriori par l’administration des douanes. Le scénario pêchait donc par son manque d’originalité. Il m’a paru alors opportun d’aller à la rencontre de nos commissionnaires en douane, pour m’assurer que nous parlions le même langage. Puis, fort de mes expériences antérieures, j’ai proposé à tous les services concernés de près ou de loin par la matière douanière, une présentation reprenant les principaux sujets, tels que l’espèce tarifaire, l’origine, le régime du perfectionnement passif, les Incoterms, la conservation des documents douaniers, etc.
Pour revenir à votre question, les mentalités commencent à changer, certes, et aujourd’hui un bon nombre de PME semble avoir admis l’idée qu’il était indispensable pour une société tournée à l’international de disposer d’un interlocuteur Douane au sein de son entreprise.
Altaprisma : Dans les discussions avec son hiérarchie, et pour s’imposer davantage, le Responsable douane n’a pas souvent un autre choix que d’invoquer la question de l’optimisation douanière, tout en respectant scrupuleusement la réglementation en vigueur. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce sujet ? Dans les faits, comment peut-on optimiser l’activité d’une entreprise tournée à l’international du point de vue douanier (régimes douaniers, droits et taxes, etc.) ?
S. Dervieux : Avant d’aborder la matière douanière au sein de son entreprise, chaque « douanier d’entreprise » doit se constituer ce que j’appellerais sa « boite noire », et cela en fonction de la spécificité du fonctionnement de son entreprise, car il ne devrait pas oublier qu’il est en quelque sorte « en première ligne » face à une administration douanière parfois mal connue par son hiérarchie, administration pourtant dotée de pouvoirs de contrôle importants. Le droit douanier a acquis une dimension internationale majeure, tout en conservant, ce qui peut paraître paradoxal, des fondamentaux processuels et répressifs essentiellement nationaux.
C’est donc effectivement très prudemment que la question de l’optimisation douanière devrait être abordée. Comme je l’évoquais plus haut, ma priorité était d’étayer les bases douanières mises en place par mes différents collègues, notamment concernant les opérations industrielles. Ainsi, ayant des activités de production sur des zones préférentielles un peu partout dans le monde, la traçabilité des origines des matières que nous exportons est devenue un préalable indispensable. Pour les matières achetées à nos fournisseurs installés en Union européenne, et destinées à être transformées dans nos ateliers, nous devons obtenir une déclaration annuelle certifiant l'origine communautaire des matières (tissus, dentelles, broderies, etc.).
Altaprisma : Présentée souvent comme une avancée majeure en matière douanière, le partenariat « Douane-Entreprise » apparaît comme un concept très séduisant. Quel est votre ressenti sur le terrain ? Ce partenariat marche-t-il vraiment ? Quelles seraient selon vous les pistes pour améliorer l’ensemble ?
S. Dervieux : Mon expérience au sein de la FNTR et les nombreuses réunions à la DGDDI auxquelles j’ai participé, m’ont permis d’apprécier tout le travail de partenariat douane-entreprise inspiré principalement par Monsieur Jean-Michel TILLIER, alors sous-directeur du commerce international. Je crois beaucoup à ce partenariat à l’instar de ce qui peut exister ailleurs en Europe.
Reste que mon « retour sur le terrain » a été quelque peu brutal, car si au siège de la DGDDI à Montreuil on écrit Douane au singulier, le même mot peut s’écrire avec un « s », tant parfois l’interprétation d’une réglementation peut être différente d’un bureau à l’autre.
Cela étant, il n’empêche que localement il n’est pas rare de trouver des bureaux de douanes ouverts réellement à l’idée du partenariat dont il est question ici. Par ailleurs, il est à noter que nos interlocuteurs des douanes s’étonnent souvent du retard que certaines entreprises prennent en matière de mise en place des procédures de dédouanement domiciliées, alors que cela permettrait d’améliorer le process et de gagner en compétitivité. Or, parfois j’ai l’impression que la douane n’appréhende pas toujours le quotidien d’une entreprise, et qu’avant de se lancer dans de telles opérations de simplification, encore une fois auxquelles je souscris totalement, il y a beaucoup de personnes à convaincre et beaucoup de mentalités à faire évoluer en interne.
Altaprisma : Quelles seraient selon vous les plus grandes difficultés relevant de la matière douanière observées sur le terrain ? Quelles améliorations proposeriez- vous ?
S. Dervieux : Travaillant dans le secteur textile, je dirais que la gestion de l’origine est sans doute la plus complexe du triptyque espèce / origine / valeur. Dans une entreprise, tout le monde a son avis sur la question, alors que les confusions sont multiples et les conséquences parfois dramatiques.
Comme vous le savez, la première confusion possible est que l’origine douanière n’est pas toujours déterminée par la provenance de la marchandise, mais qu’elle fait appel à des règles de contenu matières, de valeurs ajoutées et de procédés de fabrication.
La seconde source de confusion est l’existence d’une origine dite « préférentielle » et d’une origine de droit commun, dite « non préférentielle ». La difficulté de déterminer l’origine préférentielle des marchandises tient à la multiplicité et à la complexité des accords internationaux, dont les plus connus sont ceux qui lient l’Union Européenne à ses partenaires commerciaux.
Aussi, mes vœux d’amélioration en la matière, seraient d’avoir au moins les mêmes critères de transformation, quel que soit l’accord de libre-échange considéré, ou mieux, seraient de faire cohabiter une seule et même règle pour les « deux » règles d’origine.
Nul doute que ce seraient de belles avancées de simplification douanière ; cependant comme le chantait John Lennon « You may say I'm a dreamer », mais j’espère ne pas être le seul …
Le mot de la fin
S. Dervieux : En novembre dernier, lors du dernier colloque douane de l'ODASCE, consacré au Code des douanes de l’Union, tous les participants ont été interpellés par le nouveau critère de compétence professionnelle, avec notamment l'obligation de suivre pour le référent douane une formation qualifiante. Ainsi, sans doute, dans le cadre du partenariat douane-entreprises prôné à Montreuil, il me paraîtrait judicieux, pour la DGDDI, de s’interroger, comment mettre à disposition ses compétences en matière de formation pour permettre à un « douanier d’entreprise » de fortifier et de jauger sa compétence douanière. En effet, à quelques semaines de la mise en application du CDU, le mesurage de cette notion de compétence parait encore bien flou !
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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