Le dispositif Opérateur Economique Agréé (OEA) et son rôle dans les échanges commerciaux internationaux

 

Entretien avec Monsieur Raouf Malèhossou ABOUDOU, Docteur en Sciences de Gestion, Inspecteur des Douanes, Expert Accrédité de l’OMD, Membre de l’AIDF /Benin

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Docteur en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF

 

Paris, le 12 juillet 2024 

 

Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m'accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?  

 

Dr Raouf Malèhossou ABOUDOU :  Inspecteur de Première Classe des Douanes béninoises au grade de Lieutenant-Colonel, j’ai été nommé, depuis janvier 2024, Chef du Service Régional de lutte contre la fraude dans la Région de l’Ouémé et du Plateau. Ces deux régions comptent douze Bureaux de douanes donnant directement accès au Nigeria. C’est la plus grande région frontalière avec ce pays, où se déroulent les activités commerciales à l’import, comme à l’export. Par ailleurs, je suis Expert Accrédité auprès de l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) en matière de mise en œuvre des Programmes d’Opérateur Économique Agréé (OEA).

 

Dr Ghenadie RADU: S’inspirant des normes SAFE (Safe And Facilitation in a global Environment) conçues par l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD), un bon nombre des pays de par le monde ont mis en place chez eux un dispositif comparable, appelé le plus souvent « Opérateur Economique Agréé » (OEA). Que devons-nous entendre par un tel dispositif sécuritaire et de sûreté en matière douanière ? 

 

Dr Raouf Malèhossou ABOUDOU : Un OEA est un opérateur économique jugé digne de confiance par les Douanes, sur la base de critères bien établis, dans le cadre des opérations douanières qu’il accomplit et autorisé, à ce titre, à bénéficier de certains avantages particuliers sur toute l’étendue du territoire douanier.

 

Il est à noter que certaines Administrations douanières n’arrivent pas à faire la différence entre le Programme d’OEA établi sur la base du cadre de normes SAFE et les Programmes de conformité élaborés sur la base des recommandations de la Convention de Kyoto Révisée (CKR), ou encore ceux se basant sur l’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges (AFE). Et pourtant, de tous ces programmes, seul le Programme d’OEA du cadre SAFE se révèle être le mieux élaboré, le plus rigoureux et le mieux encadré en matière de facilitation et de sécurisation de la chaîne logistique internationale. Il a été introduit pour la toute première fois dans le pilier n°2 du cadre de normes SAFE, dans le souci de renforcer la collaboration entre les Administrations douanières et le Secteur privé. Les premiers programmes d’OEA ont vu le jour en 2005. Il sied toutefois de faire remarquer que l’éligibilité au programme d’OEA est une démarche volontaire et partenariale avec la Douane. En outre, contrairement aux autres programmes de conformité où seuls les importateurs et les exportateurs sont éligibles, le Programme d’OEA SAFE élargit le champ aux commissionnaires agréés en douane (agents en douane), aux transporteurs, aux fabricants, aux manutentionnaires, aux entrepositaires, etc.

 

Il importe enfin de préciser que l’obtention du statut d’OEA est conditionnée par le respect d’une panoplie d’exigences en matière de sûreté et de sécurité, ces exigences étant reprises in extenso dans le Guide de l’OMD sur la mise en œuvre des Programmes d’OEA et sur la procédure de validation des OEA. Au nombre de ces exigences on peut citer, entre autres : la sécurité du fret ; la sécurité des moyens de transport et des installations de l’opérateur ; la sécurité liée aux partenaires commerciaux, ainsi que celle relative au personnel.

 

Dr Ghenadie RADU : Qu’en est-il de la question de la reconnaissance mutuelle du dispositif OEA entre les Administrations douanières de différents pays ?

 

Dr Raouf Malèhossou ABOUDOU :  C’est l’une des spécificités qui démarque systématiquement le Programme d’OEA du cadre SAFE des autres Programmes de conformité, car il est le plus abouti en matière de sécurité et de la facilitation des échanges. En effet, le Programme d’OEA prévoit la signature d’Accords de Reconnaissance Mutuelle (ARM) entre plusieurs Administrations douanières sur la base de leurs programmes jugés équivalents, avec à la clé des bénéfices réciproques pour leurs opérateurs certifiés dans les différents pays. Il n’est pas superflu de préciser que la signature d’un ARM répond à un processus rigoureux comportant quatre étapes, à savoir : la comparaison des programmes d’OEA entre les pays ; l’observation et la validation sur site ; la négociation du texte d’ARM ; et enfin, la mise en œuvre. Le facteur clé de succès dans la réussite de la mise en œuvre d’un ARM réside dans la manière dont les avantages sont réciproquement accordés entre les pays.

 

Le succès du Programme OAE / SAFE fait que la plupart des Administrations douanières de par le monde privilégient, avant toute chose, la mise en œuvre de ce programme en lieu et place des autres programmes de conformité en matière douanière.

 

Dr Ghenadie RADU : Quels sont les avantages et les inconvénients du dispositif OEA pour les entreprises tournées à l’international ? En grandes lignes, quels sont les coûts pour une entreprise qui aimerait obtenir la certification OEA et la maintenir ?   

 

Dr Raouf Malèhossou ABOUDOU :  A la base, le programme d’OEA / SAFE concernait seulement les entreprises à vocation exportatrice. Plus tard, c’est dans le souci de faciliter davantage les échanges, de sécuriser la chaîne logistique internationale et de renforcer la collaboration entre la Douane et le Secteur privé que ce programme a été élargi à tous les intervenants de la chaîne logistique internationale, y compris les petites et moyennes entreprises avec, à la clé, une panoplie d’avantages pour inciter lesdites entreprises à devenir OEA.  A ce titre, les avantages pour une entreprise tournée vers l’extérieur et certifiée OEA, résident dans les facilités qui lui sont accordées, en l’occurrence un accès rapide aux informations et un traitement préférentiel de ses dossiers (choses nécessaires pour la compétitivité et l’efficacité d’une entreprise). En outre, si l’Administration douanière du pays dans lequel ladite entreprise a été certifiée a signé des Accords de Reconnaissance Mutuelle (ARM) avec d’autres pays avec lesquels cette dernière effectue des transactions, elle va bénéficier des mêmes avantages accordés aux OEA dans les pays de destination de ses marchandises. C’est l’originalité du programme OEA / SAFE.

 

En revanche, dans l’absolu, il n’existe pas d’inconvénients pour une société certifiée OEA. Toutefois, lorsque les avantages ne sont pas bien encadrés et qu’on note un sérieux dysfonctionnement dans la mise en œuvre du programme d’OEA (par les Administrations douanières ou au sein de l’entreprise), cela peut avoir des conséquences néfastes sur la vie d’une société qui subira malheureusement, sans l’ombre d’un doute, les affres de la lourdeur administrative, et par conséquent, sera moins compétitive.

 

Concernant les coûts liés à l’obtention de la certification OEA, puis le maintient de celle-ci, il serait possible de mentionner les éléments suivants :

  • la sécurité du fret (l’installation d’un système de vidéosurveillance a un coût, l’installation d’un serveur et d’un enregistreur des mouvements 24/24, l’éclairage des locaux et des aires de stockage des marchandises etc.) ; la sécurité des moyens de transport ; l’accès aux installations de l’opérateur doit être sécurisé conformément aux exigences des critères d’éligibilité (signature de contrat avec des sociétés de vigile assistance, confection des badges d’accès, accès sécurisé du personnel via des empreintes digitales, etc.); la sécurité liée aux partenaires commerciaux ;
  • la sécurité informatique est capitale pour les opérateurs certifiés OEA dans le souci de lutter contre les intrusions informatiques. Il faudrait prévoir, si besoin est, un investissement additionnel pour assurer une infrastructure informatique ;
  • il faudrait prévoir, en outre, les coûts liés aux formations en matière douanière et également en matière de sécurité ;
  • il pourrait aussi être question de la gestion du risque réputationnel pour l’entreprise, si suspension ou retrait du certificat OEA.

Ceci étant, il est évident qu’une entreprise qui se propose de réaliser des opérations internationales d’une façon pérenne, devrait nécessairement obtenir la certification OEA. Les avantages du dispositif OEA l’emportent largement sur les inconvénients éventuels et les coûts lies à l’obtention et au maintien de cette certification.    

 

Le mot de la fin 

 

Dr Raouf Malèhossou ABOUDOU :  Je voudrais, au prime abord, vous manifester toute ma reconnaissance pour m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur un sujet aussi important qui se retrouve aujourd’hui au cœur des Administrations douanières du monde entier. Je voudrais, dans un second temps, dire toute ma gratitude au Secrétariat Général de l’Organisation Mondiale des Douanes pour m’avoir donné l’opportunité de renforcer mes capacités dans cette thématique et de me permettre aujourd’hui de l’aborder avec beaucoup d’aisance et de détermination.  En effet, dans un contexte où la facilitation des échanges est devenue un instrument essentiel pour l’efficacité du commerce international, où l’opérateur économique vertueux devient de plus en plus excédé par rapport aux formalités administratives excessives, où la sécurisation de la chaîne logistique internationale devient un impératif dans les échanges internationaux, les Administrations douanières se doivent déployer des techniques modernes de contrôle pour fluidifier les transactions. Au nombre de ces techniques et instruments que l’OMD a déployés, le Programme d’OEA du cadre SAFE répond parfaitement aux exigences en matière de facilitation et de sécurisation de la chaîne logistique internationale. C’est la raison pour laquelle je me permets d’inviter toutes les Administrations douanières, qui ne se sont pas encore engagées dans le processus de mise en œuvre du programme d’OEA, à le faire, contribuant ainsi à la fluidification et à la sécurisation des échanges commerciaux internationaux.

   

 

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