La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) et les questions douanières

 

Entretien avec Monsieur Alphonse KAHOU, Docteur en Commerce International,

Sous-directeur à l’Inspection des Douanes, Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Côte d’Ivoire

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Docteur en droit, Altaprisma (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF

 

Paris, le 6 février 2025

 

 

Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m’accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

Dr Alphonse KAHOU : J’exerce dans l’Administration des Douanes ivoiriennes depuis une vingtaine d’années, avec plus de la moitié de cette période en tant que Sous-directeur, d’abord à la Direction des statistiques et des études économiques et actuellement à l’Inspection générale.

 

 

Dr Ghenadie RADU : L’Initiative de création de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) est relativement récente et date du janvier 2012 (décision prise lors de la 18e session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine). Ce processus d’intégration vise à terme la création d’une zone de libre-échange moderne et efficace couvrant tout le continent africain. Ce projet commence-t-il à prendre forme ? 

 

Dr Alphonse KAHOU : Depuis cette date, il y a eu beaucoup d’évolution et l’idée d’échanges sans entrave tarifaire ni contingentaire devient progressivement une réalité. En effet, de 2012 à 2018 l’organisation de plusieurs forums de négociation a permis de fixer les objectifs, les principes et la feuille de route pour créer la ZLECAF. Finalement en 2018, 44 pays ont signé l’accord de création de cette zone et l’année suivante ce nombre a été porté à 54. Le Secrétariat Exécutif, basé au Ghana à Accra, est actuellement opérationnel. Dans la plupart des pays qui ont ratifié les accords, les Comités Nationaux ZLECAF œuvrent à vulgariser cet outil de promotion du commerce intra-africain et à sensibiliser les populations, les entreprises en général et les acteurs des échanges extérieurs, en particulier sur la nécessité de s’approprier les mécanismes et les textes qui régissent le fonctionnement de ce maillon d’intégration. On peut ajouter à ce tableau le fait que le libre-échange n’est pas une approche nouvelle au niveau du Continent. Il y a déjà en Afrique plusieurs communautés économiques régionales (CER) avec des dispositions et des pratiques qui consacrent le libre-échange. La ZLECAF vient donc élargir cette réalité pour les pays du continent qui ne sont pas nécessairement dans une même CER.

                          

 

Dr Ghenadie RADU : Parmi les objectifs affichés par la ZLECAF figure la réduction considérable, voire la suppression des droits de douane dans les échanges entre les pays africains. Ces réductions et suppressions devraient concerner la quasi-totalité des produits. Qu’en est-il sur le terrain ? Les pays africains sont-ils toujours enthousiastes à l’idée de poursuivre ce processus d’intégration très ambitieux ?   

 

Dr Alphonse KAHOU : En 2022, le Secrétariat de la ZLECAF a lancé une initiative sur le commerce guidé qui a rencontré un vif succès auprès de huit pays participants : Ghana, Cameroun, Rwanda, Kenya, Maurice, Egypte, Tanzanie et Tunisie. L’Afrique du Sud a rejoint ce groupe au début de l’année 2024. Cette initiative vise 96 produits qui peuvent être échangés librement avec des préférences tarifaires. La liste de ces produits comprend notamment les produits pharmaceutiques, le caoutchouc, les pâtes alimentaires, le thé, le café, l’acier, le bois. L’initiative est une solution provisoire pour lancer les échanges commerciaux significatifs entre les Etats pour comprendre l’état de préparation du secteur privé et pour tester l’environnement opérationnel, institutionnel, juridique et de politique commerciale dans le cadre de la zone de libre-échange continentale. Plus de 30 pays se sont annoncés pour rejoindre l’initiative de commerce guidé. Cela montre un engouement réel et une étape importante dans l’opérationnalisation de la ZLECAF.

                  

                                                                                    

Dr Ghenadie RADU : La mise en place d’une zone de libre-échange suppose une maitrise parfaite des règles en matière de détermination de l’origine, car une marchandise pourra prétendre à un traitement préférentiel à l’importation seulement si elle est originaire d’un pays faisant partie de la même zone. Qu’en est-il sur le terrain ? Les règles d’origine préférentielle sont-elles bien comprises et maîtrisées au regard de la ZLECAF par l’ensemble des acteurs concernés par les échanges commerciaux internationaux au sein du continent africain ? 

 

Dr Alphonse KAHOU : Les produits entièrement obtenus ou ayant fait l’objet d’une transformation suffisante dans un pays membre vérifient le critère d’origine préférentielle de la ZLECAF. Ces règles d’origine sont celles qui guident l’établissement des statistiques du commerce extérieur et la taxation des marchandises dans certaines communautés économiques en Afrique, dont l’un des exemples les plus abouti est la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec l’adoption d’un tarif extérieur commun. Au niveau de la ZLECAF, la preuve d’origine se fait à travers des formes prescrites et les Etats, aidés par les partenaires au développement, mènent des campagnes de sensibilisation et d’explication sur les conditions d’éligibilité des marchandises aux bénéfices de l’accord de libre-échange. Les premières expériences de commerce dans le cadre de la ZLECAF concernent l’Initiative de Commerce Guidé (ICG) et les retours font penser que les règles d’origine préférentielle sont bien comprises et maîtrisées. Les Administrations douanières nationales doivent cependant continuer à renforcer leur capacité pour faire face à des fraudes éventuelles sur l’origine.

 

 

Le mot de la fin 

 

Dr Alphonse KAHOU : Aujourd’hui, presque tous les pays africains ont adhéré ou sont en train d’adhérer à la ZLECAF. Quelle est la réalité commerciale derrière ce processus ? Le commerce intra-africain est pour le moment assez faible quand on le compare au commerce entre l’Afrique et les autres régions du monde. Pour qu’il y ait commerce, il faut qu’il y ait des biens à échanger qui satisferont les besoins des populations. La ZLECAF, de par sa conception, permettrait le renforcement du commerce intra-africain, sous réserve que les pays africains se mettent à produire davantage des biens à échanger.

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Jeri fethi (jeudi, 06 février 2025 20:39)

    Excellant