La facilitation des échanges commerciaux internationaux à l’épreuve de l’insécurité transfrontalière : un défi pour la Douane camerounaise

 

Entretien avec Monsieur Raymond Tido, Inspecteur des Douanes, Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Cameroun

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie Radu, Docteur en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF

 

Paris, le 13 février 2025

 

 

Dr Ghenadie Radu : Merci d’avoir trouvé le temps de m’accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

M. Raymond Tido : Avant toute chose, je tiens à remercier M. Ghenadie Radu, Dr en droit, pour l’intérêt qu’il porte au sujet de mes travaux de recherche aboutissant à la soutenance de mon mémoire de fin d’études (février 2025) en vue de l’obtention du diplôme de Master en Relations Internationales, option « Commerce international et diplomatie économique », délivré par la Chaire OMC de l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC).

 

Issu de la promotion 2006-2008, section « Douane » de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM) du Cameroun, j’ai intégré par la suite la Douane camerounaise. Inspecteur des Douanes, je suis actuellement rattaché aux Services Centraux et notamment à la Division du Contrôle des Opérations Financières du Commerce Extérieur et des Changes.

 

Dr Ghenadie Radu : Pourriez-vous nous rappeler le cadre juridique international en matière de facilitation des échanges commerciaux internationaux ?

 

M. Raymond Tido : Pour faciliter les transactions commerciales internationales, l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) a conçu et mis en place la Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers, appelée Convention de Kyoto. Celle-ci est entrée en vigueur en 1974, avant d’être révisée et adoptée en juin 1999 par le Conseil de l’OMD, pour prendre en compte les demandes formulées par certains gouvernements au regard de l’évolution des échanges commerciaux internationaux modernes. Cette nouvelle convention entre en vigueur le 3 février 2006 et sert de modèle pour les procédures douanières efficientes et modernes du 21ème siècle, baptisée « Convention de Kyoto Révisée » (CKR).

 

La CKR décrit plusieurs principes clefs de gouvernance, mettant l’accent sur :

  • la transparence et la prévisibilité des actions douanières ;
  • la normalisation et la simplification de la déclaration des biens et des pièces justificatives ;
  • des procédures simplifiées pour les personnes autorisées ;
  • l'usage maximum des technologies de l’information ;
  • des contrôles douaniers minimums et nécessaires pour garantir le respect des réglementations ;
  • l'utilisation de gestion des risques et des contrôles par l’audit ;
  • des interventions coordonnées avec les autres agences frontalières ;
  • un partenariat avec le commerce.

En se basant sur la CKR, et à l’issue de près de dix années de discussions, les Membres de l’OMC ont conclu leurs négociations relatives à la mise en place de l’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges (AFE). Cela s’est produit lors de la neuvième Conférence ministérielle qui s’est tenue à Bali (Indonésie) en décembre 2013. Cet accord vise à stimuler le commerce mondial en accélérant le mouvement, la mainlevée et le dédouanement des marchandises, y compris des marchandises en transit. A noter que l'Accord sur la facilitation des échanges est contraignant pour tous les États membres de l'OMC.

 

Pour compléter le tableau, il faudrait mentionner Programme Mercator lancé en juin 2014, et qui constitue une réponse proactive de l’OMD à la mise en œuvre de l’AFE. Ce programme permet de garantir des ressources humaines suffisantes au sein des Douanes, ce qui pourrait se traduire par la mise en place d’une unité spécialisée, d’une équipe liée au projet ou d’un groupe de travail. Cela permet de planifier, de coordonner et de surveiller les travaux de mise en application de l’AFE par les Douanes et contribuer ainsi à la mise en œuvre de l’AFE par le Comité National de la Facilitation des Echanges.

 

Dr Ghenadie Radu : Que devrions-nous entendre exactement par « l’insécurité transfrontalière » ? En quoi consiste ce phénomène ?

 

M. Raymond Tido : Monsieur Rodrigue Nana Ngassam, Docteur en sciences politiques, dans son article paru dans la Revue Etudes, n°2014/3 (mars), intitulé « Insécurité aux frontières du Cameroun » définit l’insécurité transfrontalière comme un « ensemble d’actes délictueux dont les acteurs, les victimes et les répercussions vont au-delà des frontières étatiques qui s’inscrit donc dans les réseaux à caractère criminel tels que le terrorisme, les divers trafics illicites, les prises d’otage et les enlèvements, etc. ».

 

En l’espèce, il s’agit des groupes terroristes et organisations criminelles transnationales qui franchissent illégalement les frontières terrestres poreuses pour le trafic d’armes légères et de petit calibre, de munitions, d'explosifs, d'autres marchandises illicites, des êtres humains, de drogues, etc.

 

La Douane, qui est une administration de référence à la frontière pour le traitement des flux du commerce international, exerce également ses missions de contrôle sur l’ensemble du territoire national et ultramarin. Elle mène une lutte globale contre les trafics, la criminalité organisée et le financement du terrorisme. Face à des organisations et réseaux criminels toujours plus structurés, diversifiant leurs trafics et déployant des moyens et leviers variés (technologies numériques, techniques de fraudes sophistiquées, menaces, violences, corruption), la Douane adapte sa stratégie, renforce le cadre légal de son action et s’engage, à l’aide de plans d’action ciblés pour assurer la protection du territoire, des citoyens, des intérêts économiques et financiers nationaux. A cet effet, la Résolution de Punta Cana de 2015, et son instrument de mise en œuvre qu’est le Cadre des normes SAFE, révisé en 2021, permettent à l’OMD d’établir les normes pour assurer la facilitation des échanges et la sureté de la chaîne logistique à l’échelon mondial, en vue de promouvoir la certitude et la prévisibilité ainsi que l’harmonisation des procédures et la gestion intégrée des frontières.

 

Dr Ghenadie Radu : Comment concilier, sur le plan douanier, la nécessité de faciliter les échanges commerciaux internationaux et la lutte contre insécurité transfrontalière ? Comment la Douane camerounaise s’organise pour faire face à ce défi ?    

 

M. Raymond Tido : Face à la menace permanente de la part de la criminalité transfrontalière organisée et la nécessité de faciliter les échanges commerciaux aux frontières, les outils technologiques constituent inéluctablement la pierre angulaire pour concilier la facilitation des échanges commerciaux et la lutte contre l’insécurité transfrontalière. Il s’agit de mettre en œuvre les moyens technologiques modernes qui permettent d’atteindre les objectifs fixés au regard de l’importance des deux notions pour la libre circulation des biens et des personnes. Ces moyens peuvent intégrer la dématérialisation complète des procédures de dédouanement, l’utilisation des scanners et détecteurs de métaux, la mise en place d’un Guichet unique d’information et de contrôle de tous les acteurs présents aux frontières, ainsi que la coopération entre les différentes parties prenantes.

 

En l’espèce, la Douane camerounaise s’est engagée sur la voie des réformes profondes qui appellent à la dématérialisation des procédures à travers les différents outils technologiques de gestion mis en œuvre, à savoir :

  • « Cameroon Customs Information Systems » (CAMCIS) pour la gestion des procédures de dédouanement ;
  • « NEXUS » pour la gestion et la géolocalisation des cargaisons en transit ;
  • le Guichet unique des opérations du commerce extérieur ;
  • la mission spéciale « Halte au Commerce Illicite » (HALCOMI) pour mener les grandes opérations de surveillance du territoire ;
  • la création d’une cellule de gestion des risques.

Tout ceci est surplanté par un cadre normatif douanier et institutionnel à l’instar du Code des Douanes de la Communauté Economique de l’Afrique Centrale (CEMAC) et les groupes de travail créés à cet effet. De même, la Douane camerounaise privilégie une démarche concertée et collaboratrice avec les autres Forces de Maintien de l’Ordre et de Défense pour lutter efficacement contre l’insécurité transfrontalière et favoriser ainsi la facilitation des échanges commerciaux internationaux, y compris la mutualisation et l’échange des informations avec les pays voisins.

 

Le mot de la fin 

 

M. Raymond Tido : Merci de m’avoir permis de m’exprimer sur mes travaux de recherche portant sur la facilitation des échanges commerciaux internationaux et la lutte contre l’insécurité transfrontalière.

 

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