Les régimes douaniers économiques. Le cas de la République du Cameroun

 

Entretien avec Madame NGO UM BILONG Epouse ANONG AROGA Christelle Sandra A., Officier Principal des Douanes, Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Cameroun

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Docteur en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF

 

Paris, le 5 décembre 2024

 

 

Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m'accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

Mme ANONG AROGA : Officier Principal des Douanes camerounaises, j’exerce à l’Inspection des Services des Douanes, j’assume en outre les fonctions de Secrétaire Générale et Vice-présidente de la commission solidarité de l’AIDF au Cameroun.

 

Dr Ghenadie RADU : Comment pourriez-vous définir les régimes douaniers économiques. A quoi servent ces régimes dans les échanges commerciaux internationaux ?

 

Mme ANONG AROGA : Avant de définir les régimes douaniers économiques, j’aimerai rappeler aux lecteurs qu’un régime douanier représente un ensemble de règles et de procédures régissant l’affectation douanière et le statut juridique réservé à toute marchandise franchissant la frontière douanière d’un territoire étatique ou communautaire. De par sa conception, le régime douanier définit les conditions et les modalités selon lesquelles une marchandise doit être traitée. La marchandise pourrait être affectée à la mise à la consommation directe, à l’exportation ou placée sous l’un des régimes douaniers économiques.

 

Les régimes douaniers économiques (régimes d’autorisation), sont des mécanismes mis en place par les Etats dans le but de développer certaines activités ou secteurs économiques, accroître les capacités de production des entreprises afin de les rendre plus compétitives à l’échelle internationale et aptes à participer à la croissance économique du pays.  Ceci est possible notamment grâce aux avantages financiers et économiques qui en découlent.

 

Dr Ghenadie RADU : La République du Cameroun fait partie du territoire douanier de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale), tout comme la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Gabonaise, la République de Guinée Équatoriale et la République du Tchad. Ces pays appliquent le Code des douanes commun traitant l’ensemble des sujets douaniers. Quels régimes douaniers économiques sont les plus sollicités au Cameroun ?  Quels seraient les difficultés éventuelles concernant la mise en place de ces régimes ?

 

Mme ANONG AROGA : Avant toute chose, il est à rappeler qu’au Cameroun, le Code des douanes de la CEMAC, qui représente la base de la réglementation douanière communautaire, est complété par des textes nationaux. En se basant sur l’ensemble de ces textes, le Cameroun propose aux entreprises concernées par les échanges commerciaux internationaux les régimes douaniers économiques suivants :  

 

I. Les régimes de circulation. On trouve ici le régime douanier du transit et celui du transbordement.

 

A. Le régime de transit s’effectue essentiellement par voie terrestre (routière ou ferroviaire). La position géographique du Cameroun (ouverture sur l’océan Atlantique dans le golfe de Guinée via les ports de Douala et Kribi) fait de lui une porte d’entrée naturelle pour les pays de la Sous-région sans Littoral.  Ainsi, certaines marchandises importées au Cameroun sont admises en transit direct pour les destinations comme Tchad, RCA et Congo. Le Titre de Transit Unique (TTU) couvrira le trajet « route », « route-rail-route », ou « rail-route », sous surveillance douanière depuis le Bureau des douanes émetteur jusqu’au point de sortie homologué, qui est généralement une frontière avec le pays de destination de la Sous-région. La Douane assurera la surveillance évoquée ci-dessus grâce au dispositif de suivi par géolocalisation des marchandises en transit (Nexus + Customs GPS), ce qui implique que le conteneur soit scellé et qu’une balise GPS soit apposée sur le moyen de transport identifié. Ce régime s’applique aussi à l’exportation des produits manufacturés au Cameroun qui eux, pour les besoins de la cause, sont soumis au régime de la TVA.

 

B. Le régime de transbordement est le régime douanier en application duquel s’opère, sous la surveillance de la Douane, le transfert de marchandises d’un moyen de transport à un autre (navire ou aéronef), en suspension des droits et taxes exigibles, des prohibitions et des restrictions d’entrée et de sortie autres que celles prévues par la loi. Le transbordement concerne :

  • les marchandises qui sont destinées à un autre pays que le Cameroun et qui passent par le territoire douanier national ;
  • les marchandises en provenance d’un autre pays, débarquées dans un port/aéroport camerounais, mais destinées à un autre port/aéroport camerounais et réacheminées par voie maritime ou aérienne vers cet autre port/aéroport. Les procédures de transbordement des marchandises au Cameroun sont régies par le Code des douanes et l’Instruction ministérielle N°00362/CAB/MINFI, du 29 août 2016, portant procédure simplifiée de transbordement des marchandises.

II. Les régimes de stockage. Le régime de l’entrepôt douanier a une très grande importance économique au Cameroun. A travers lui, le gouvernement permet aux entreprises d’importer de gros volumes de marchandises et de les stocker dans des espaces aménagés prenant la forme d’extraterritorialités contrôlées par la Douane. Les droits de douane y afférents sont suspendus sous certaines conditions et sont réglables sous délais prescrits et sous réserve de la vente de la marchandise sur le territoire national ou à l’extérieur. Bien entendu, la vente de ces marchandises en zone communautaire entraine des aménagements fiscaux prévus par la règlementation en vigueur. Il existe 3 catégories d’entrepôt de stockage :

  • l’entrepôt public destiné à répondre aux besoins d’intérêt général;
  • l’entrepôt spécial destiné aux marchandises dont le placement dans l’entrepôt peut présenter des dangers, est susceptible d’altérer la qualité des autres produits et dont la conservation exige des installations spéciales (exemple de la Société Camerounaise de Dépôts Pétroliers qui gère l’entreposage des hydrocarbures raffinés par la Société Nationale de Raffinage) ; et
  • l’entrepôt privé ou fictif. Il est à l’usage exclusif d’un opérateur économique donné, bénéficiaire d’un agrément d’entrepositaire et qui le gère sous sa seule responsabilité. Il est placé sous la surveillance de la Douane qui y effectue des contrôles périodiques. Le recours à ce type d’entrepôt est courant au Cameroun, notamment pour des véhicules d’occasion ayant une date de mise en circulation supérieure ou égale à 10 ans.

III. Les régimes d’utilisation. Ils permettent à une entreprise d’importer, en suspension des droits et taxes de douane, et sous certaines conditions, un matériel qui ne lui appartient pas, mais dont elle a besoin pour son activité (essais, expositions, travaux publics, etc.). En fin d’utilisation, la marchandise doit être réexportée, sinon mise à la consommation ou constituée en entrepôt après autorisation expresse du Directeur General des Douanes. Au Cameroun, on distingue l’admission temporaire normale de l’admission temporaire spéciale.

 

A. L’admission temporaire normale implique la suspension totale des droits et taxes de douane avec pour principe la réexportation et pour exception la mise à la consommation. Elle est réservée à du matériel d’exposition, au matériel professionnel, aux marchandises importées dans un but éducatif, scientifique ou culturel, au matériel de propagande touristique, aux effets personnels de voyageurs importés dans un but sportif, aux véhicules de fonction des représentants diplomatiques et consulaires, etc.

 

B. L’admission temporaire spéciale, quant à elle, est réservée à l’importation de matériel, en suspension des droits et taxes de douane, pour les nécessités d’exécution de travaux d’intérêt public. Ce régime implique la suspension partielle des droits et taxes avec paiement de fractions de droits ou annuité calculés selon le taux d’amortissement fiscal du matériel importé.

 

IV. Les régimes de transformation. Au Cameroun, on peut recourir au régime de perfectionnement actif, au régime de perfectionnement passif, ou bien au régime de zones franches industrielles.

 

A. Le perfectionnement actif. Ce régime est réservé aux industriels qui procèdent à l’ouvraison de la matière première importée, transformée en produits manufacturés, avec pour objectif d’être vendus à l’exportation et/ou localement (à un taux ne dépassant généralement pas 20% de la production totale des produits manufacturés). Il est question ici de tenir compte d’un certain nombre de notions, comme produits compensateurs, marchandises équivalentes et taux d’ouvraison. Au Cameroun, les secteurs d’activité où l’on recourt assez souvent au perfectionnement actif sont le domaine agro-alimentaire, l’œnologie et la transformation du bois en placages.

 

B. Le perfectionnement passif. Ce régime douanier économique permet de réexporter temporairement des produits qui se trouvent en libre circulation sur le territoire douanier, en vue de leur faire subir à l’étranger une ouvraison, une transformation ou une réparation et de les réimporter ensuite en exonération totale ou partielle des droits et taxes. Au Cameroun, ce régime est utilisé surtout dans le cas des réparations des véhicules nationalisés, ou dans le secteur gazier (notamment le gaz domestique importé).

 

C. Les zones franches industrielles. Ce régime a été créé dans le but d’encourager la transformation de la matière première en produits manufacturés afin de favoriser les exportations. A noter que plusieurs avantages fiscaux liés aux exportations sont accordés sous le régime des zones franches industrielles (ZFI). Les opérations réalisées par les entreprises agréées au régime de la ZFI sont exonérées de toute fiscalité directe et indirecte, selon un régime juridique qui date de 1990. Dans les faits, la mise en œuvre des zones franches a souffert de quelques pesanteurs. La nouvelle loi du 17 avril 2019, portant modalités de création et de gestion des zones économiques spéciales, entend donner plus de vigueur à ce régime.

 

Dr Ghenadie RADU : Comment faire pour que les régimes douaniers économiques soient plus attractifs encore pour les entreprises ? Les opérateurs économiques sont-ils suffisamment informés au Cameroun des bénéfices liés au recours à ces régimes ?    

 

Mme ANONG AROGA : Il faudrait multiplier les rencontres Douane-entreprise, dialoguer davantage avec les usagers de la Douane afin de les informer continuellement sur les nouvelles dispositions légales, être à l’écoute de leurs besoins et leur faire connaitre les risques encourus en cas de non-respect des engagements inhérents découlant de chaque facilité accordée par l’Administration.

 

Le mot de la fin :

 

Mme ANONG AROGA : Je vous remercie de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur un sujet douanier si complexe comme celui portant sur les régimes douaniers économiques.

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.   

 

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