Le contrôle douanier comme instrument de lutte contre la fraude

 

Entretien avec Monsieur Vincent THOMAZO,

Ancien fonctionnaire des Douanes françaises, Secrétaire général de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF)

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF

 

Paris, le 9 décembre 2024

 

 

Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m'accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement s’il vous plaît ?

 

M. Vincent THOMAZO : Retraité après 29 années de service dans l'Administration des douanes françaises, j'ai effectué toute ma carrière dans la branche surveillance, c'est à dire, en tenue et sur la route.

 

Par ailleurs, j'ai eu un engagement syndical qui m'a conduit à devenir Secrétaire général d'un syndicat douanier, me permettant d'avoir une vision globale de la Douane et de son fonctionnement.

 

Dr Ghenadie RADU : Vous avez signé par le passé un ouvrage portant sur « Des choses à déclarer ? Journal d’un douanier », chez les Editions Jean-Claude Gawsewitch, 2011, 275 p. Ayant acquis une solide expérience en matière douanière, comment pourriez-vous définir le contrôle douanier comme instrument de lutte contre la fraude ?

 

M. Vincent THOMAZO : Le contrôle douanier comme instrument de lutte contre la fraude représente l’un des piliers de l'Administration des douanes, qui apparaît comme une Administration de protection par excellence. Elle est en charge de la protection de notre économie, des entreprises et des consommateurs, notamment via la lutte contre les trafics de stupéfiants, de contrefaçons, etc.

 

Si la lutte contre le trafic de stupéfiants est en général bien comprise par l'opinion publique, la dangerosité des différentes drogues n'étant plus à démontrer, le rôle de la Douane dans la lutte contre les contrefaçons est moins connu - les contrefaçons n'étant pas toujours considérées comme dangereuses par certains consommateurs ; pour beaucoup, la contrefaçon concerne seulement le secteur du luxe (maroquinerie, parfums, etc.).

 

Dans les faits, la contrefaçon va bien au-delà du secteur du luxe. Pratiquement, tous les domaines de l’économie sont concernés. En simplifiant les choses, tout ce qui se vend pourrait être contrefait. Plus bas, quelques exemples permettant d’appuyer ces propos :

  • même si le réseau des pharmacies est très bien sécurisé en France, l'explosion des achats des médicaments sur Internet fait que nous assistons à une augmentation constante des ventes des médicaments contrefaits, avec les conséquences graves que chacun pourrait bien imaginer ;
  • de très nombreux accidents ont eu lieu suite à l'utilisation de pièces détachées contrefaites destinées à la réparation des véhicules. Le phénomène des pièces contrefaites commence à concerner aussi la maintenance des avions ;
  • les jouets pour enfants est l'un des secteurs ou les contrefaçons se multiplient le plus. De nombreux accidents ont été répertoriés suite à l'ingestion par des bébés des pièces qui se sont détachées de peluches.

Nous pourrions multiplier à l'infini les exemples comme ceux présentés plus haut. Le rôle de la Douane est donc primordial pour assurer la sécurité des entreprises et des consommateurs. Les contrôles douaniers sont donc indispensables pour réaliser cet objectif et permettre de lutter contre les fraudes. 

 

Dr Ghenadie RADU : Comme vous avez pu le constater par vous-même tout au long de votre parcours professionnel, le contrôle douanier est souvent lié au « volume » des normes juridiques à respecter. Une entreprise française commerçant à l’international doit respecter les dispositions du Code des douanes national français (470 articles), du Code des douanes de l’Union (288 articles), ce dernier étant « accompagné » par un Règlement délégué (256 articles) et par un Règlement d’exécution (350 articles), soit un total de 1364 articles (!). A titre de comparaison, le Code des douanes suisse, du 18 mars 2005, compte 133 articles seulement ! Dans ces conditions, et compte tenu du « poids » normatif, comment faire pour que le contrôle douanier se passe dans les meilleures conditions ?

 

M. Vincent THOMAZO : Force est de constater que le volume des normes juridiques à respecter rend les contrôles de plus en plus complexes, mais également le travail des entreprises. Cette inflation de normes peut mettre en difficulté certaines entreprises les plus fragiles dans le sens où elles n'ont pas toujours les ressources nécessaires pour bien appréhender la matière douanière, que ce soit dans le domaine juridique, technique ou commercial.

 

A mon sens, il existe deux principales raisons à cette inflation normative. La première est étroitement liée au fonctionnement de l’Union européenne, qui traditionnellement légifère beaucoup et pratiquement dans tous les domaines.

 

La seconde raison serait liée aux usagers eux-mêmes (entreprises, personnes physiques), qui, pour certains, tentent de contourner telle ou telle réglementation, obligeant ainsi le législateur à compléter et à modifier sans cesse la législation existante.

 

Dans la pratique, et contrairement à une idée répandue, le volume des normes juridiques applicable en matière douanière ne représente pas un réel frein à la fluidité des échanges.

 

Dr Ghenadie RADU : Ces derniers temps, on assiste tous à l’arrivée de l’IA (Intelligences Artificielle) dans nos vies respectives. Dans les années à venir, cette technologie risque d’apporter des changements considérables au fonctionnement de nos sociétés. Dans ces conditions, comment l’IA pourrait contribuer à la mise en place des contrôles douaniers plus efficaces ? En d’autres termes, comment voyez-vous l’avenir du dispositif « contrôle douanier » au regard de l’arrivée de l’IA ?    

 

M. Vincent THOMAZO : Effectivement, l’IA risque de prendre de plus en plus de place dans le fonctionnement de nos sociétés modernes. Il en sera de même pour les contrôles douaniers. Mais ne nous y trompons pas, l’IA ne pourra être qu'un outil de plus mis à la disposition des douaniers. En aucun cas l’IA ne pourra remplacer les contrôles. Elle pourra faciliter la sélection, certes, mais ne procédera pas au contrôle physique d'un moyen de transport, pour ne citer que cela.

 

Pour ce qui est de la technologie, on pourrait constater certaines limites. Je pense notamment au système LAPI (lecteur automatique des plaques d’immatriculation) applicable en France. Depuis quelques années, les services douaniers se sont progressivement équipés de ce système, ce qui permet de se renseigner, au besoin, sur une plaque minéralogique ou une autre, et cela pour diverses raisons (par exemple, véhicule ayant été utilisé par le passé pour transporter des stupéfiants). Après une période de rodage, ce système apparaît comme bien efficace pour la partie détection, mais c’est plus nuancé concernant la partie de lutte contre la fraude.

 

Le mot de la fin

 

M. Vincent THOMAZO : Les contrôles douaniers, comme instrument de lutte contre la fraude, sont bien nécessaires pour assurer la régularité des échanges. Ils sont très efficaces lorsqu’ils sont effectués, même si leur nombre devrait augmenter pour dissuader davantage les fraudeurs potentiels.

 

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