la logistique portuaire et la douane

 

Entretien avec Madame Maud CHASSERIAU, Ancienne fonctionnaire des Douanes françaises, Experte Accréditée auprès de l’OMD, Consultante, Membre de l’AIDF / France et Membre de WISTA / France (Femmes maritimes).

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Docteur en droit, Altaprisma (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF.

 

Paris, le 11 novembre 2024

 

 

Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

Mme Maud CHASSERIAU :  En fonction depuis 1978, je suis désormais retraitée depuis le 1er avril 2024 de la direction générale des douanes françaises. J’y ai effectué 20 ans de missions douanières opérationnelles notamment au port du Havre, puis 26 ans en poste à la direction générale, au bureau de la Politique du dédouanement, à différentes fonctions (transit, Plan douane/Port, l’Import Control System (ICS), les formalités avant dédouanement, l’environnement logistique aéroportuaire et de la connectivité entre les systèmes d’information portuaire et douanier). L’administration reconnaissante m’a honoré de la médaille de chevalier de l’Ordre du Mérite Maritime (promotion 2011), mais également de la médaille d’honneur des douanes en 2019. Depuis quelques années, j’interviens en Afrique dans la zone CEDEAO et CEMAC en tant qu’experte douane, ports et corridors logistiques.

 

Altaprisma : Que devrions-nous entendre par la logistique portuaire ? Quel rôle joue la Douane dans cette logistique ?   

 

Mme Maud CHASSERIAU :  La logistique portuaire joue un rôle crucial pour l’économie et le commerce international, facilitant ainsi le mouvement de marchandises de manière efficace et sécurisée à travers les ports. Elle regroupe un ensemble d’activités et processus organisé pour assurer le passage, le traitement y compris le traitement douanier, le stockage et la gestion des marchandises dans un port. Elle reste un secteur complexe impliquant l’autorité portuaire et une communauté d’acteurs privés (agents maritimes, manutentionnaires, transitaires, transporteurs, etc.) et d’institutions régaliennes au premier rang desquelles la douane, et aussi la police, la gendarmerie, les autorités sanitaires, etc. La collaboration efficace entre ces acteurs est essentielle pour la fluidité de la chaîne logistique globale.

 

Nœuds commerciaux et logistiques stratégiques, les ports maritimes sont un champ d’action public et privé dont la douane est la charnière. La douane au sein de la logistique portuaire agit comme un régulateur et facilitateur du commerce international. Celle-ci contrôle, taxe et sécurise les flux de marchandises tout en travaillant à fluidifier les opérations portuaires pour réduire les délais et coûts logistiques. Cela contribue à un commerce plus sûr, rapide, sécurisé et transparent, tout en favorisant la compétitivité des opérateurs économiques et en protégeant les intérêts publics.

 

Pour atteindre ces objectifs, la douane a pu s’appuyer sur :

  • la Convention de Kyoto Révisée (Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers) adoptée en juin 1999 par le Conseil de l’OMD et fixant les grands principes en matière douanière (transparence, prévisibilité des actions des administrations douanières, standardisation et simplifications des déclarations, technique d’évaluation des risques dans les contrôles, utilisation maximale des technologies informatiques, coordination des interventions) ;
  • le cadre de Normes Safe de OMD (approche globale et coordonnée pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement internationale tout en facilitant les échanges (OEA) ;
  • l’accord sur la Facilitation des échanges (AFE) de l’OMC, qui prévoit d’accélérer la mainlevée et le dédouanement des marchandises.

Altaprisma : Concernant les opérations internationales, la logistique portuaire présente un lien direct avec le passage en douane. Quels seraient alors les choses à prendre en compte pour que ce passage se fasse de la façon la plus fluide possible ?

 

Mme Maud CHASSERIAU :  La question de la confiance et le défi lié au partage des données de manière collaborative entre les acteurs de la communauté portuaire sont primordiaux afin d’optimiser et de fluidifier le passage des marchandises sur le port. La douane a un rôle central dans ce processus, car des processus de dédouanement efficaces sont indispensables pour détecter les marchandises illégales et prohibées et d’empêcher leur entrée, tandis que les ports sont responsables de la certification de la sûreté et de la sécurité des navires et du fret. 

 

L’enjeu est in fine d’améliorer l’efficacité de la chaîne logistique portuaire. S’il est difficile de définir ce qu’est une chaîne logistique portuaire efficace, on peut toutefois relever que le temps, le coût, la sûreté et la sécurité sont des éléments essentiels.  Des contrôles physiques nombreux lors du passage portuaire peuvent ralentir les échanges (et donc augmenter les coûts et les délais). C’est pourquoi les mesures douanières (analyse de risque, l’OEA) intègrent les deux impératifs de temps et de sécurité relevant de la logistique portuaire, ciblant les contrôles sur les marchandises à risque et facilitant les flux pour les opérateurs identifiés comme fiables. La douane a opté pour une sélectivité des contrôles et non pour un contrôle systématique de toutes les marchandises (ce qui pourrait conduire à l’engorgement des chaînes logistiques).

 

Altaprisma : Quels seraient les problèmes qu’une entreprise pourrait rencontrer sur le terrain, touchant à la fois aux questions douanières et à la logistique portuaire ? Pourriez-vous nous donner des exemples ?

 

Mme Maud CHASSERIAU :  Les entreprises peuvent rencontrer de nombreux problèmes liés aux questions douanières et à la logistique portuaire :

  • un délai de dédouanement plus long lié à une complexité administrative.  Les procédures peuvent être plus lentes, notamment dans certains ports, car les processus ne sont pas totalement numérisés ;
  • la complexité des réglementations et des normes (normes sanitaires, phytosanitaires, de sûreté et de sécurité, etc., varient considérablement d’un pays à un autre). Cela peut causer des retards ou des coûts supplémentaires pour les entreprises (par exemple, les coûts d’entreposage augmenteront si les marchandises restent plus longtemps en douane pour des raisons procédurales) ;
  • certaines politiques douanières peuvent changer sans préavis, ce qui complique la planification des importations/exportations et augmente les risques de surcoûts de la chaîne logistique portuaire.                                                                                                                                                                                                                                                               

Altaprisma : Quels seraient les grands problèmes à résoudre, en France et à l’étranger, concernant les aspectes douaniers de la logistique portuaire ? Comment voyez-vous l’avenir du couple « Logistique portuaire - Douane » ?

 

Mme Maud CHASSERIAU :  Une collaboration étroite entre la douane et les autorités portuaires permettrait de garantir que toutes les inspections et formalités administratives nécessaires soient réalisées rapidement et efficacement, en réduisant les délais et les goulets d’étranglement en cours de route, tout en renforçant la sûreté et la traçabilité en temps réel de la chaîne logistique. Cela se traduirait sur le terrain par la mise en œuvre d’étude du temps nécessaire pour la mainlevée des marchandises (en anglais TRS : Time Release Study – recommandé par l’OMD – article 7.6 de l’Accord sur la Facilitation des Echanges) qui permettrait de factualiser le temps de passage des marchandises de bout en bout, depuis l’arrivée des navires jusqu’à la sortie des camions de l’enceinte portuaire, étape par étape, et d’identifier les goulets d’étranglement (ceux qui relèvent de la douane, mais pas seulement). Cette étude serait un formidable levier pour amener tous les acteurs, tant publics que privés, à s’impliquer dans la recherche de solutions pour optimiser, sécuriser et rationaliser les processus dans l’ensemble de l’écosystème douanier, logistique et portuaire.

 

Le mot de la fin

 

Mme Maud CHASSERIAU : La douane est souvent perçue comme le principal responsable des délais et des coûts du passage des marchandises sur le port. Pour faire évoluer les mentalités douanières et mener à bien un projet de transformation logistique portuaire durable, nous pouvons nous appuyer sur deux forces : les autorités régaliennes pour veiller à ce que les processus soient optimisés et sécurisés, pour maximiser les droits et taxes perçues et pour s’assurer que l’éthique soit respectée (1) ; des données factuelles, actuelles et opposables sur les délais de dédouanement et de la logistique portuaire (2).

 

Gardons à l’esprit que la gestion des risques douaniers et des opérateurs économiques est cruciale pour assurer la sécurité des chaînes d’approvisionnement tout en facilitant le commerce international.

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.     

 

*     *    *

 

Altaprisma n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce texte. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. En aucun cas la responsabilité d’Altaprisma ne pourra être engagée. La reproduction partielle ou intégrale de ce texte est autorisée à condition d’indiquer la source : https://www.altaprisma.com/documents/aidf-france-logistique-portuaire-et-douane/ 

 

 La version PDF de l'entretien est disponible ci-dessous.

 

Télécharger
La logistique portuaire et la Douane.
Entretien avec Madame Maud CHASSERIAU, Ancienne fonctionnaire des Douanes françaises, Experte Accréditée auprès de l’OMD, Consultante, Membre de l’AIDF / France et Membre de WISTA / France (Femmes maritimes).
Logistique portuaire et Douane. Entretie
Document Adobe Acrobat 404.9 KB

Commentaires: 0