Entretien avec Madame Maryse N’KOMA,
Ancienne Directrice générale adjointe des Douanes, Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Gabon
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF
Paris, le 19 juillet 2024
Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps de nous accorder cet entretien, pourriez-vous vous présenter brièvement s’il vous plaît ?
Mme Maryse N’KOMA : Diplômée de l’École de Douane de Casablanca au Maroc (promotion 1988–1989), j’ai intégré ensuite l’Administration des douanes gabonaises : le Bureau central, puis le Cabinet du Directeur général. Entre 2021 et 2023, j’ai occupé le poste de Directrice générale adjointe des Douanes gabonaises.
Altaprisma : Le contrôle douanier est souvent une source de grande inquiétude pour les entreprises opérant à l’international. Quels sont, selon le droit gabonais, les droits et les obligations des entreprises et de la Douane en matière de contrôle douanier ?
Mme Maryse N’KOMA : Les contrôles douaniers pour les entreprises opérant à l’international peuvent être sources d’inquiétude en raison de leur complexité. Ces entreprises sont contrôlées à plusieurs niveaux : initialement dans les Bureaux centraux en contrôle immédiat (dans un délai de 48 heures maximum), puis en différé (dans un délai maximum de six mois) par les différentes Directions régionales, et enfin a posteriori sur trois ans pour les écritures comptables à la Direction des enquêtes douanières et du contentieux.
Au Gabon, nous utilisons le Code des douanes de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), qui regroupe six pays : la République du Cameroun, la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Gabonaise, la République de Guinée Équatoriale et la République du Tchad.
La Douane a la possibilité de collecter des informations sur les entreprises, notamment via des demandes de communication et pendant le contrôle des formalités douanières. De ce fait, la plupart des contrôles sont ciblés.
L’Administration des douanes octroie à certaines entreprises des facilités, notamment des régimes suspensifs tels que le transit communautaire, le transbordement, le cabotage, l’admission temporaire, l’admission temporaire spéciale, l’importation et exportation temporaire, la réimportation en l’état et exportation sous réserve de retour, l’entrepôt public, l’entrepôt privé et l’entrepôt spécial.
Les entreprises ont l’obligation de respecter les conditions d’octroi de ces régimes, conditions dont elles prennent connaissance lors de l’établissement des formalités. Ces régimes suspensifs comportent des délais que ces entreprises doivent respecter. Le contrôle douanier permet de vérifier si les délais ne sont pas échus, si le matériel utilisé est en état pour les admissions temporaires et si le matériel n’a pas été cédé à une autre entreprise sans l’autorisation de la Douane. Il est interdit à une entreprise de manipuler ou de céder sans autorisation de la Douane un matériel faisant l’objet d’un régime suspensif. Pour l’instant au Gabon nous n’avons pas de Charte des contrôles douaniers, ou un autre dispositif comparable.
Altaprisma : Quelles sont les principales infractions douanières relevées sur le terrain par les Douanes gabonaises et les sanctions encourues ?
Mme Maryse N’KOMA : Les principales infractions constatées sur le terrain par les Douanes gabonaises sont prévues et réprimées par les articles 461 à 468 du Code des douanes CEMAC.
Sur le terrain, les infractions les plus courantes sont les fausses déclarations de valeur, les fausses déclarations d’espèce (notamment les glissements tarifaires), les fausses déclarations d’origine et de poids. Il existe cinq classes de contraventions douanières et trois classes de délits douaniers règlementés par l’article 462 du Code CEMAC. Les marchandises prohibées sont soumises à des restrictions.
Les sanctions encourues sont de nature pécuniaire, telles que visées par les articles 487 à 490 du Code des douanes CEMAC. Des sanctions privatives de liberté sont également prévues, régies par les articles 485 à 486 du Code en question. L’agrément de commissionnaire en douane agréée peut être retiré à l’intéressé, à titre temporaire ou définitif, selon l’article 149 alinéa 3 de ce même Code.
Altaprisma : Quelles sont les grandes étapes du contrôle douanier selon la réglementation gabonaise ?
Mme. Maryse N’KOMA : Selon la réglementation gabonaise, les contrôles douaniers permettent de vérifier si les entreprises sont en conformité avec la réglementation en vigueur. Les contrôles se font avant, pendant et après le dédouanement (articles 190 et 352 du Code des douanes CEMAC).
L’article 97 du Code des douanes CEMAC régit ces différents contrôles. Ils sont effectués en présence de l’opérateur économique, qui reçoit au préalable une notification ou un ordre de mission délivré par le Directeur général des douanes et droits indirects ou par le Directeur des enquêtes douanières et du contentieux. Dans certains cas, le contrôle peut être inopiné, sans en informer préalablement l’entreprise contrôlée.
Il existe quatre types de contrôles :
En cas de constatation d’une infraction, un procès-verbal de constat ou de saisie est établi en présence de l’opérateur économique (articles 370 à 371 du Code des douanes CEMAC). Si absent, l’opérateur peut se faire représenter par un avocat ou un expert en douane agréé.
Après l’établissement du procès-verbal, l’opérateur économique peut émettre des réserves pour contester ou transiger avec l’Administration des douanes. L’opérateur dispose d’un droit de recours et peut présenter un mémoire en défense à l’Administration des douanes dans un délai de 30 jours (article 358 du Code des douanes CEMAC). Si l’opérateur économique n’est toujours pas satisfait, après la décision de la Commission de la CEMAC, il peut porter le dossier devant les autorités judiciaires. Il arrive aussi que les opérateurs économiques reviennent parfois de leur propre gré régulariser leur situation auprès de l’Administration des douanes.
Altaprisma : Le Gabon fait partie de la Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers, signée à Kyoto le 18 mai 1973, et entrée en vigueur le 25 septembre 1974. Cette convention a été révisée, ce qui a conduit à la signature de la variante amendée le 20 juin 1999, entrée en vigueur le 3 février 2006 (Convention de Kyoto révisée de l’OMD). Partant du texte de cette convention, comment les Douanes gabonaises arrivent-elles à concilier l’objectif de facilitation des échanges avec la nécessité de conduire des contrôles douaniers efficaces ?
Mme Maryse NKOMA : La Convention de Kyoto révisée regroupe un ensemble de procédures douanières visant à faciliter le commerce international. En matière de facilitation des échanges, les Douanes gabonaises ont fait évoluer leur système informatique SYDONIA WORLD, ont informatisé les Bureaux et les ont interconnectés.
L’introduction et l’utilisation du scanner au port d’Owendo, le plus important au Gabon, permet de réduire les temps de passage en douane et les visites physiques. Le système informatique douanier SYDONIA WORLD intègre le système informatisé d’analyse des risques (SIAR) pour mieux cibler et orienter les contrôles, et redéfinir les critères de sélectivité dans un contexte de facilitation des échanges. Cette gestion intégrée des risques permet de les réduire et obtenir leur visualisation complète. Les critères de sélectivité sont dynamiques et évoluent en fonction des renseignements contenus dans des rapports de visite insérés dans le système informatique.
Les articles 164 et 165 du Code des douanes CEMAC prévoient des procédures simplifiées de dédouanement, permettant à l’opérateur économique d’obtenir la mainlevée des marchandises avec une déclaration simplifiée, qui sera complétée ultérieurement à la régularisation. Ces avantages concernent une certaine catégorie de marchandises, comme les envois de secours, les envois urgents, les vivres frais et les médicaments.
Altaprisma : Le dispositif de transaction douanière existe-t-il dans le droit douanier gabonais, permettant à l’opérateur économique de reconnaître l’infraction, de payer les sommes notifiées et les pénalités éventuelles en contrepartie de l’abandon des poursuites?
Mme Maryse N’KOMA : Le règlement des litiges douaniers est encadré par la loi, la transaction douanière étant régie par les articles 390 à 391 du Code des douanes CEMAC. La Douane n’est plus systématiquement répressive ; elle évalue chaque fois la bonne foi de l’opérateur économique.
Lors d’un litige douanier, la transaction s’effectue entre l’Administration et l’entreprise. Si les deux parties s’accordent, cela éteint le litige douanier. Une entreprise peut choisir de transiger si elle estime que les pénalités sont trop élevées tout en reconnaissant l’infraction, ou si elle conteste une partie du litige dans les réserves émises lors de la rédaction du procès-verbal de constat ou de saisie.
Une autre raison de recourir à la transaction douanière réside dans le fait que l’entreprise souhaite éviter une citation devant les tribunaux. L’avantage de la transaction pour l’entreprise est qu’elle est invitée à payer une amende inférieure à ce qui est prévu par le Code des douanes, tandis que l’État recouvre plus rapidement la dette douanière avec le paiement des droits, taxes et pénalités.
Il y a donc deux manières de clôturer un litige douanier avec une entreprise : soit par un règlement transactionnel, soit devant les tribunaux. Généralement, pour les entreprises, il est préférable de clôturer un dossier contentieux par une transaction.
Lorsqu’une entreprise accepte de transiger, elle reconnaît l’existence d’une infraction et adresse en ce sens une demande au Directeur général des douanes et droits indirects. Les deux parties se mettent ensuite d’accord pour régler le litige de manière définitive. Une fois la transaction clôturée, la Douane ne peut plus poursuivre l’entreprise sur les mêmes faits et le contentieux ne peut plus être remis en cause.
Le mot de la fin
Mme Maryse N’KOMA : L’Administration des douanes gabonaises n’est pas seulement répressive envers les entreprises, elle joue aussi un rôle de conseil et peut accompagner les entreprises qui le souhaitent. Elle s’efforce également de renforcer les partenariats avec celles-ci.
Tout responsable d’entreprise devrait réaliser des audits internes et employer des personnes qualifiées. Il peut se faire accompagner par un expert en douane agréé CEMAC, par les services de la Douane ou par un consultant pour l’aider dans la gestion de son entreprise en matière douanière.
Toute entreprise souhaitant obtenir des renseignements peut se rapprocher de l’Administration des douanes avant l’arrivée des marchandises sur le territoire gabonais pour obtenir des informations sur l’espèce tarifaire à déclarer, ou sur le pays d’origine, par exemple.
Enfin, l’octroi du statut d’Opérateur Economique Agréé, quant à lui, est réglementé par l’article 76 du Code des douanes CEMAC. Ceci étant, les Douanes gabonaises n’utilisent pas encore ce dispositif dans la pratique. Cela viendra sans doute plus tard. Pour le moment, elles sont en train de mettre en place un programme de partenariat Douane-Entreprises, qui consiste à octroyer certaines facilitations et simplifications douanières.
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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La version PDF de l'entretien est disponible ci-dessous.
Dieu Merci Mwamba (vendredi, 19 juillet 2024 13:57)
Bonjour Madame Maryse N’Koma, Merci d’avoir partagé votre parcours et vos expériences
borisadriennguemazamba@gmail.com (vendredi, 19 juillet 2024 11:59)
Bel article!