Les Douanes aux frontières du numérique

 

Entretien avec Monsieur El Arbi BELBACHIR

Ancien haut fonctionnaire des Douanes marocaines - Expert en Douanes,

Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Maroc

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF

 

Paris, le 2 septembre 2024

 

 

Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m'accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

M. El Arbi BELBACHIR : J’ai rejoint les rangs de l’Administration des Douanes et Impôts Indirects en 1972, en tant qu’Inspecteur-Adjoint, et suis lauréat de l’Ecole Nationale des Douanes de Neuilly-sur-Seine (France), major de la 26ème promotion réservée aux stagiaires techniques, cycle 1973-74. J’ai exercé successivement diverses fonctions de direction et de contrôle, tant à l’échelon central que territorial, pour occuper, en fin de carrière, la fonction de conseiller du Directeur général des Douanes près cette même Administration, que j’ai quitté en 2009, pour faire valoir mes droits à la retraite. Juriste privatiste, j’assure actuellement des formations en droit pénal douanier, en techniques du commerce extérieur et en techniques de négociation, au sein de divers établissements d’enseignement supérieur (publics et privés). Je suis membre de l’Association Douanière Marocaine et suis décoré de l’Ordre du Mérite national de grade exceptionnel.

 

Dr Ghenadie RADU : Vous avez publié récemment un ouvrage de référence en deux volumes portant sur les Douanes aux frontières du numérique, publié en 2024, aux Editions et Impressions Bouregreg, Rabat. Pourriez-vous nous dire pourquoi avoir choisi un tel sujet ? Pourquoi, selon vous, il est si important de le traiter aujourd’hui ?

 

M. El Arbi BELBACHIR : De prime abord, l’ouvrage se compose de deux tomes qui traitent essentiellement de la lutte contre la fraude à l’ère numérique : le premier, en 467 pages, intitulé « Le numérique, instrument du délit », le second, en 567 pages, est consacré aux « Mutations, risques et moyens d’action », qu’impliquent les missions dévolues aux Douanes.

 

Pour ce qui est de la thématique, je dirai que le choix d’un sujet portant sur la cyber délinquance en douane n’est pas fortuit, tout comme d’ailleurs l’intitulé de celui-ci dont la terminologie est jugée de nature à mieux illustrer la dimension du phénomène numérique, aux contours et au contenu immensément infinis. Etant de connotation multiple, le vocable numérique est employé à la fois pour ajouter cette frontière à celles physiques, terrestres et maritimes, mais aussi pour témoigner de la limite réelle de l’action douanière, assurément mise à rude épreuve par ce nouveau rempart, en l’absence de moyens juridiques et technologiques de lutte, adaptés aux missions douanières à l’ère des technologies de l’information.

 

Ceci étant, tout en reconnaissant l’utilité des technologies de l’information et de la communication dans la facilitation du traitement des opérations douanières courantes, l’ouvrage s’attache à mettre en évidence les utilisations malveillantes de ces mêmes technologies au travers les diverses manipulations frauduleuses qui sont susceptibles de porter atteinte intérêts économiques, financiers et sécuritaires nationaux.

 

Le souci nourri à cet égard se traduit par moult interrogations, dont la question essentielle est de savoir dans quelle mesure les Douanes sont-elles prêtes à prendre en charge ce nouveau domaine pour d’une part, assurer le contrôle et la surveillance des transactions électroniques transfrontalières et pour se prémunir, d’autre part, contre toutes les formes de malveillance et autres cyber attaques visant le système informatique douanier.

 

L’intérêt d’une adaptation de la législation pénale douanière, au  fait numérique, tout comme le recours à de nouveaux moyens technologiques pour accompagner cette mutation,  s’avèrent nécessaires, tant il faut bien admettre que si l’infraction de contrebande a depuis longtemps fait éclipse à tous les faits illicites en douane, elle fait figure, de nos jours, d’agissement antique comparativement au bouquet infractionnel de cyber fraude, certes aux manifestations encore mal définies, mais assurément aux résultats comparables.

 

Par ailleurs, l’expectative troublante observée chez les praticiens du droit douanier à l’égard du phénomène n’est certainement pas étrangère au choix du sujet, tant le désintéressement de ceux-ci contraste curieusement avec l’intérêt grandissant que suscite la question cybernétique, un peu partout dans le monde.

 

N’est-il pas venu le moment pour les Douanes d’aller encore plus loin dans la mise en place d’une cyber législation pénale en vue de faire face à la cyber délinquance qui se profile derrière cette nouvelle frontière ?  

 

Dr Ghenadie RADU : Que devrions-nous entendre par la « frontière numérique » qui entre dans le champ de surveillance de la Douane ? Comment définir cette frontière ? Pour mieux comprendre les choses, merci de nous donner un exemple de franchissement de la frontière numérique et les conséquences de ce franchissement sur le plan douanier.

 

M. El Arbi BELBACHIR : En douane, la frontière numérique ne date pas d’aujourd’hui puisque ce concept connait déjà un « déplacement » opéré par divers moyens, notamment électroniques, pour s’établir, avec le temps, et au gré des nécessités socio-économiques, ailleurs qu’aux lisières du pays. Placée dans une sorte de territorialité fictive à la forme infinie, la frontière, quoiqu’invisible, est encore plus présente par la force du droit et de la technologie.

 

On en a pour preuve le dépôt électronique de la déclaration douanière et de ses annexes qui, auparavant effectué physiquement et uniquement dans les Bureaux de douane, est désormais possible en deçà ou au-delà de la frontière classique.

 

Ainsi, en optant pour la télé déclaration en vue de permettre l’accomplissement des formalités douanières à distance, le législateur, en même temps qu’il admet le principe de la mobilité des frontières, reconnait le caractère numérique de celles-ci. En ce faisant, l’outil informatique agit sur l’espace douanier dont les limites épousent d’autres tracés que celui traditionnel. L’usage du PC ou du smartphone influe alors sur le concept de frontière douanière qui se trouve, par ce moyen, bien en deçà des lignes classiques, pour se situer, selon cette même fiction, dans d’autres endroits tel les locaux du transitaire, du consignataire, du transporteur ou encore dans les lieux de production, comme d’ailleurs chez tout autre usager sollicitant un dédouanement à domicile.

 

En fin de compte, il faut se rendre à l’évidence que l’utilisation des moyens de télécommunication et d’information, en même temps qu’elle permet de réduire les distances entre l’Administration et le déclarant, tend étrangement au déplacement des frontières classiques sous la pression de facteurs non pas géopolitiques, mais plutôt socio-économiques. Cette vision qui est confortée par la réalité du terrain, donne à penser que les frontières peuvent se situer partout où l’opérateur, au sens commun du terme, pourrait faire sa déclaration douanière, tout comme d’ailleurs pour celui malveillant qui s’adonnerait à des activités informatiques illicites, sans qu’il puisse être géographiquement localisé.

 

Cela dit, on rappellera que les Douanes sont chargées, quel que soit le lieu de leur implantation, d’assurer le recouvrement des droits et taxes exigibles sur les marchandises, légalement échangeables, et de contrecarrer les opérations, notamment d’importation de produits non conformes aux normes nationales, et ceux de tous genres, qui sont de nature à porter atteinte à l’ordre public tant interne qu’international.

 

Cependant, force est de reconnaître que cette double mission ne vaut que pour les flux physiques tant il semble encore illusoire de faire état de pareils postulats à l’égard des ondes électromagnétiques qui, de toute évidence, ne sont pas « contenues » par des barrières, tant pour ce qui est de leur circulation que par leur utilisation licite ou malveillante.

 

Pour illustrer la difficulté à pouvoir assurer le contrôle des transactions électroniques évoluant dans cet espace, aux éléments inapprivoisés, nous nous contenterons d’un seul exemple en l’occurrence celui de « l’impression 3D ». Ce procédé qui est en passe de révolutionner les modèles de production, traduit toute la complexité à apporter une réponse douanière à la question, tant il ne s’agit plus du régime fiscal applicable aux transmissions des plans de conception, mais des répercussions des produits obtenus subséquemment à la mise en œuvre de ces plans, sur d’autres domaines aussi névralgiques que la protection de l’ordre public en général.

 

Si le souci fiscal semble avoir été aplani à la faveur des recommandations de l’OMC, octroyant un moratoire relatif à la taxation des transmissions électroniques, dont bénéficient les échanges transfrontaliers de fichiers numériques à des fins d’impression 3D, des interrogations subsistent toutefois quant à la capacité juridique des Douanes, partout ailleurs, à traiter les produits obtenus en interne, selon ce même procédé. N’étant pas considérés au regard du droit douanier comme des importations ou des exportations, ces marchandises échappent aux droits de douane en raison de leur origine locale, puisqu’il s’agit de produits qui sont entièrement obtenues sur le sol national, alors même qu’ils seraient conçus par une société étrangère et/ou selon des instructions logicielles données depuis l’étranger.

 

Par ailleurs, au-delà des débats que pourrait susciter la problématique, deux difficultés majeures se profilent pour assurer la prévention des actes de cyber fraude nés de telles transactions électroniques transfrontalières : il faut d’abord que les procédures et mécanismes douaniers puissent appréhender ces opérations pour, qu’ensuite, le droit pénal douanier puisse en assurer la répression.

 

C’est dire aussi tout l’exploit prospecté à travers la conjugaison du droit, de la technologie et de l’expertise humaine pour réussir ce pari.

 

Dr Ghenadie RADU : Comme vous le savez bien, le volume des échanges commerciaux internationaux est en constante augmentation un peu partout dans le monde. Comment concilier alors l’augmentation de ces échanges et l’action de la Douane qui doit veiller non seulement sur les frontières physiques (rôle traditionnel), mais aussi sur les frontières numériques ?

 

M. El Arbi BELBACHIR : Pour impensable qu’elle est, la vérification systématique des marchandises, notamment à l’import, nécessiterait la mise en place d’une organisation hypertrophiée et des ressources colossales qu’aucune Administration douanière ne pourrait prétendre mobiliser en raison du volume énorme des flux empruntant les deux sens à l’import et à l’export.

 

L’accroissement exponentiel des flux transfrontaliers des personnes et des biens, induisant une augmentation des risques de fraude, suggère alors un savoir-faire où le droit, la technologie et l’expérience, comptent pour beaucoup dans l’accomplissement des missions douanières sachant, toutefois, que c’est la combinaison de tous ces moyens qui constitue le gage de la réussite dans ce domaine. Si le métier de douanier connaît, de plus en plus, d’équations complexes à résoudre, dont celle de concilier la fluidité des trafics et l’efficacité des contrôles, nous demeurons convaincus que l’intelligence artificielle, le Big data et autres technologies de surveillance, notamment du cyber espace, pourraient aussi répondre à l’ensemble de ces exigences.

 

Dr Ghenadie RADU : Fait bien connu, le contrôle des transactions électroniques transfrontalières est particulièrement complexe. Comment pourriez-vous expliquer cette complexité ? Quelles actions la Douane devrait-elle mettre en place pour maîtriser davantage ces transactions ?

 

M. El Arbi BELBACHIR : Pour mesurer la complexité de ce volet, il faudrait tenter de lever d’abord le voile sur ce que l’on veut dire par « transactions électroniques transfrontalières », au sens douanier du terme, pour ensuite définir ce que l’on entend par « cyber fraude en douane ». Il n’est pas aisé d’aborder la question sans ces préalables qui permettent de ranger cette forme de délinquance parmi les autres situations infractionnelles existant en douane.

 

Ainsi, peut-on avancer, sans prétention, que cette notion puisse grouper, en premier lieu, toutes sortes d’opérations, tant celles à caractère licite que celles irrégulières, qui seraient réalisées dans le cadre du commerce extérieur et notamment celui électronique transfrontalier. De même qu’elle englobe les transactions dissimulées, pour peu qu’elles soient réalisées par un moyen électronique ou informatique portant sur des contenus prohibés qui constituent une menace quelconque au regard du contrôle du commerce extérieur et des changes.

 

Mais cela pourrait ne pas suffire, car faut-il encore rattacher toutes ces transactions au droit pénal douanier pour en assurer la prévention. C’est en progressant dans ce raisonnement qu’il est permis de penser que la cyber fraude en douane pourrait s’analyser en tout acte (ou manœuvre) frauduleux qui serait commis, tenté ou dont la commission, en partie ou en totalité, aura été facilitée par les technologies de l’information et de la communication.

 

L’approche ainsi adoptée est aussi une autre manière de vaincre la complexité - celle de droit - qui vise à légitimer, si besoin est, la compétence des Douanes à l’égard de cette activité singulière, au contenu polymorphe.

 

Du point de vue managérial, on fera remarquer que la complexité caractérisant cette partie des échanges extérieurs provient, tout d’abord, du fait que le e-commerce se différencie nettement des autres formes du négoce international par certains éléments qui en font une activité distincte, notamment le nombre important des envois formés de petits colis échangés, nécessitant un traitement rapide. En outre, les expéditions de l’espèce sont potentiellement à haut risque (petits colis et grande valeur), car réalisées souvent par des acteurs inconnus, constitués en majorité des vendeurs et des acheteurs/expéditeurs occasionnels, qui ne sont pas toujours, de surcroît, nettement identifiables.  

 

Quant à l’autre face des échanges électroniques internationaux qui est l’objet de toutes les hantises, est celle tenant exclusivement à des opérations qui relèvent du « Dark web », domaine obscur qualifié, à juste titre, d’« égouts » d’Internet. Cette partie de la toile, qui fonctionne à l’image d’un marché gigantesque où sont négociées toutes sortes de biens et services prohibés, tels ceux portant sur le trafic illicite des stupéfiants, les produits de contrefaçon, les médicaments, les armes, munitions et explosifs, les véhicules volés, les faux papiers et autres transactions mafieuses.

 

Vouloir soumettre aux règles classiques, de contrôle et de surveillance, des opérations réalisées sur le cyber espace qui bravent les procédures établies en matière de douane et de change, tient tout naturellement de l’utopie, tant l’application de ces règles au monde virtuel, semble irréelle.

 

Cependant, sans prétendre venir complètement à bout de la complication, il est permis de dire que la parade aux transactions frauduleuses de l’espèce, peut être recherchée dans l’adoption d’une stratégie appropriée portée par une cyber législation douanière, assortie de moyens managériaux et technologiques adaptés. On en a pour preuve l’exemple de la France où le législateur a franchi le pas sur la voie de la lutte contre certaines pratiques frauduleuses évoluant sur le Net en autorisant l’Administration des douanes et celle fiscale, à exploiter de manière automatisée les données personnelles librement accessibles sur les plateformes utilisées pour ce genre de trafics.

 

Dr Ghenadie RADU : Ces derniers temps, l’Intelligence artificielle (IA) fait de plus en plus éruption dans nos vies, et ce n’est que le début ! Le développement de cette technologie est spectaculaire : l’IA arrive à nous émerveiller, mais aussi à nous inquiéter par la qualité de ses analyses et la pertinence de ses réponses (certaines tâches réalisées aujourd’hui par les Humains seront-elles confiées bientôt à l’IA ?). Aujourd’hui, l’IA est déjà en train d’être associée, dans certains pays, à l’analyse des données douanières et à la meilleure compréhension des flux numériques. Comment l’IA pourrait-elle aider la Douane à mieux surveiller les frontières numériques ?

 

M. El Arbi BELBACHIR : Comme j’ai eu à le souligner dans mon ouvrage, l’IA est d’un apport certain dans l’amélioration de l’action des Douanes, notamment pour la gestion des risques de fraude liés aux flux des marchandises et au contrôle des voyageurs, et on ne peut que s’en réjouir.

 

Il faudrait dire que les Douanes tirent déjà avantage des possibilités offertes par l’application algorithmique tenant au ciblage automatique des marchandises. Aussi, m’adressant à des professionnels, je limite mes propos au fait que la sélectivité automatique est basée, entre autres postulats, sur le fait qu’un contrôle réduit c’est aussi un contrôle renforcé.

 

Il en est de même pour le contrôle des voyageurs, tant cette activité, aux tâches fastidieuses, ne saurait encore tolérer de retard compte tenu de diverses contraintes liées au passage à la frontière. Dès lors, à la surveillance visuelle, la technologie permet aux agents de réaliser divers objectifs à la fois dont, outre la fluidification des trafics, la détection et l’analyse de mouvements suspects, la lecture d’émotions sur les visages et autres comportements anormaux. Tout comme elle aide au repérage des passages récurrents (des véhicules et des personnes), soit autant d’indices qui pourraient être utilement fournis en temps réel pour une prise de décision également instantanée.

 

Abordée sous cet angle, la réponse pourrait être apportée à la fois par le droit et par la technologie. Outre le perfectionnement de la sélectivité automatique, déjà en service, les Douanes se doivent de recourir à l’IA pour accroître le taux des colis « admis pour conforme » (sans visite) en vue d’accompagner le développement du commerce légal, dont celui électronique, et pour augmenter la cadence et le nombre des enlèvements des envois, particulièrement à l’arrivée.

 

On en arrive à la surveillance du cyber espace où l’IA joue, là aussi, un rôle essentiel dans la collecte, l’analyse et le recoupement d’énormes quantités de données sur les transactions évoluant sur le Net en attirant l’attention des douaniers sur toute opération inhabituelle ou présentant une anormalité quelconque. Sans prétendre explorer toutes les possibilités de l’IA dans l’amélioration de ce domaine, on peut dire que l’observation de la toile permet aux agents des douanes, de détecter l’existence de situations frauduleuses et, le cas échéant, d’aller sur les traces du fait délictueux pour se saisir de la fraude, du moins en appréhender les auteurs après coup. Ne devant pas être limitée à la seule observation des pages du web, la surveillance peut ainsi conduire à la poursuite de la navigation pour effectuer d’amples recherches en vue de s’assurer du caractère régulier d’une transaction électronique donnée. La persévérance à se positionner sur cette nouvelle frontière numérique, conduirait ainsi à l’accomplissement d’autres investigations qui, étant menées en cascade, pourraient aboutir à la découverte d’autres opérations ou au repérage d’autres sites servant de plateformes à des échanges prohibés.

 

C’est dans cet esprit qu’il semble aussi nécessaire de mettre en place des unités de cyber douaniers, avec pour mission de surveiller la toile aux fins de détection des transactions électroniques et autres échanges porteurs de menaces.

 

Il n’est pas inutile d’ajouter que les enquêteurs pourraient être aidés dans leur mission en associant le public à cette action au travers, entre autres mesures, l’incitation au signalement des opérations de l’espèce par un moyen électronique.  Le site web baptisé PHAROS en est l’illustration permettant à tout citoyen, en France, de signaler aux autorités de police, via cette plateforme, tout contenu jugé illicite. Ceci, sans oublier l’encouragement à la dénonciation susceptible d’être envisagée sur la base des « Programmes de divulgation volontaire » (PDV), préconisés par l’OMD.

 

Par conséquent, le fait d’armer les services douaniers de moyens technologiques et de prérogatives spécifiques leur permettant d’intégrer l’espace cybernétique dans leur champ d’action, n’a rien d’insolite mais qu’il traduit plutôt la capacité de cette Administration à s’adapter à toutes les époques et circonstances.

 

Pour revenir à votre question, je dirai que l’IA, loin de constituer une préoccupation en douane, s’avère plutôt une aubaine tant elle offre des solutions qui permettent de renforcer l’action aux frontières, lato sensu, et partout ailleurs. Il faudrait encore ajouter que si la technologie prend l’avantage sur l’Homme dans divers domaines, tel précisément celui du contrôle et de la surveillance, force est de reconnaître qu’il est de certaines situations où la résolution du problème relève encore de l’expertise du douanier qui parvient, bien souvent, à confirmer les soupçons à l’égard d’une cible donnée avec une précision toute aussi remarquable.

 

Le mot de la fin

 

M. El Arbi BELBACHIR : Pour assurer la transition numérique, nous pouvons dire qu’une double action s’impose : celle d’œuvrer pour une cyber législation douanière à même d’assurer la défense des intérêts et des valeurs dont la protection est légalement dévolue aux Douanes, tout comme le fait de doter les agents de celles-ci de moyens adaptés à la lutte contre la fraude en général et à la cyber fraude en particulier, autrement dit leur permettre de lutter contre les cyber fraudeurs à armes égales.

 

Bien que des voix s’élèvent pour dire qu’un jour la machine pourrait surpasser l’Homme, cette prédiction relève encore de la fiction tant rien, pour l’heure, ne semble remplacer les capacités naturelles du douanier. Ayant pour simple objectif d’accompagner l’action des agents, l’IA ne saurait ainsi avoir pour vocation de se substituer totalement à ces derniers.

 

Il est aussi un fait que la technologie sans le droit est inopérante et que la technologie et le droit sans l’habileté humaine l’est d’autant sans un personnel aguerri, suffisamment motivé et formé. C’est donc la mise en œuvre de ce trio (technologie, droit, douaniers), qui fait avancer les choses, tant ces trois éléments réunis constituent le gage de la réussite dans ce projet.

 

Cela dit, on ne manquera pas d’indiquer qu’en optant pour l’utilisation des technologies pour assurer la surveillance des frontières numériques, les Douanes devraient s’entourer de garanties juridiques suffisantes, tant il s’agit là d’un domaine fortement marqué par les droits de l’homme.

 

Si le fait de contrôler et de surveiller les frontières, n’est guère contesté, il faudrait encore que l’action des services douaniers soit aussi irréprochable à ce point de vue.

 

 

*    *    *

 

Altaprisma n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce texte. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. En aucun cas la responsabilité d’Altaprisma ne pourra être engagée. La reproduction partielle ou intégrale de ce texte est autorisée à condition d’indiquer la source : https://www.altaprisma.com/documents/aidf-maroc/

 

 


Commentaires: 2
  • #2

    Essalouh (mardi, 03 septembre 2024 18:42)

    Très intéressant ces éclairages apportés par M. Belbachir sur les nouveaux défis des douanes de par le monde. L'essor que connait actuellement le commerce électronique, qui devient de fait le commerce par défaut, illustre bien les défis auxquels sont confrontées les adminstrations douanières dans leurs missions à la fois classique ( contrôle et recouvrement) que celles mises à leurs charges recemment, et notamment la lutte contre certains fléaux relevant de la criminalité cybernétique et tranfrontalière, qui incombaient jadis à d'autres autorités publiques.
    un vibrant hommage à ce douanier érudit qui a toujours contribué (en ou hors activité) à l'enrichissement de la réflexion sur ces problèmatiques douanières qui transcendent bien la dimension juridique (en particulier, celle du droit pénal douanier), spécialité de prédéliction de Monsieur Belbachir.
    Qu'il puisse trouver dans ce modeste commentaire, le témoignage de mon estime et ma gratitude pour l'intellectuel, le juriste et surtout le collègue compagnon de toujours.
    Douanier d'un jour, douanier pour ......

  • #1

    BENSAID Ahmed (mardi, 03 septembre 2024 12:05)

    Excellente analyse faite par un grand professionnel de l'administration de la Douane marocaine. La grande expérience de M BELBACHIR fait de lui aujourd'hui une référence internationale en la matière.