Entretien avec Monsieur Serge Rinkel, Ancien Officier Naval des Douanes, Expert International en lutte contre la criminalité transfrontalière, Vice-président de l’AIDF / Nigeria
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie Radu, Docteur en droit,
ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF
Paris, le 4 mars 2025
Dr Ghenadie Radu : Merci d’avoir trouvé le temps de m’accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
M. Serge Rinkel : Ancien Officier naval des Douanes Françaises, j’ai été sélectionné au cours des trente dernières années pour participer à de nombreuses missions internationales, notamment en Afrique, principalement pour le compte de l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD), de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), du Secrétariat Général des Nations Unies, de la Commission Européenne, du G5 Sahel et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Actuellement, je dirige la branche défense et sécurité d’un groupe commercial nigérian et suis basé au Nigeria.
Dr Ghenadie Radu : Comment pourriez-vous définir la criminalité transfrontalière organisée ? Pourquoi il est si important de lutter contre ce phénomène ?
M. Serge Rinkel : La criminalité transfrontalière organisée désigne l’ensemble des activités criminelles planifiées et exécutées par des groupes structurés opérant au-delà des frontières nationales. Elle repose sur la collaboration de réseaux criminels, exploitant les failles des systèmes de contrôle entre les pays. Elle englobe toutes les activités criminelles internationales, motivées par l’appât illicite du gain.
Des réseaux criminels franchissent chaque jour les frontières des pays africains, notamment en empruntant, dans la partie subsaharienne, les pistes non contrôlées par la force publique. Ces pistes finissent par être connues des autorités, mais les effectifs de la force publique sont souvent limités, les réseaux clandestins étant nombreux et leurs activités diversifiées : trafic de drogue ; trafic de migrants ; traite des êtres humains et prostitution forcée ; blanchiment d’argent ; trafic d’armes et de munitions ; trafic de produits contrefaits ; trafic d’espèces sauvages et protégées (faune et flore) ; trafic de biens culturels ; trafics de véhicules volés, de cigarettes, de tabac, de carburant ; détournements de bétails volés ; trafic lié à l’environnement et au pillage de certaines ressources naturelles, sans oublier certaines activités spécifiques à l’espace maritime, telle que la piraterie, la pêche illicite et l’exportation en contrebande de ressources halieutiques régionales ; vols à bord de navires de commerce ; pollutions volontaires comme le dégazage ou le déversement de produits chimiques ; vols de conteneurs, etc. A ces activités illicites, il faut rajouter l’enlèvements de personnes et les demandes de rançon, les braquages et autres extorsions de fonds. Un autre problème de taille concernant la région subsaharienne réside dans le fait que certains contrebandiers et criminels entretiennent des liens avec les organisations terroristes, qu’ils contribuent à enrichir.
Par conséquent, les différents services de la force publique, dont les Douanes, doivent œuvrer en symbiose pour la collecte et l’échange de renseignement, pour la gestion opérationnelle coordonnée de surveillance et d’intervention et enfin pour la lutte de tous les instants contre le crime organisé et tous les flux de contrebande afin de mieux protéger les populations.
Dr Ghenadie Radu : Quel est l’impact de la criminalité transfrontalière organisée sur le développement des pays en Afrique subsaharienne ?
M. Serge Rinkel : Il est prouvé que les réseaux criminels transfrontaliers menacent en permanence la paix et la sécurité, conduisent à des violations des droits de l’homme et sapent le développement économique, social, culturel et politique, ainsi que celui de la société civile, notamment dans certaines régions rendues instables, voire ingouvernables et dangereuses. Les énormes sommes d’argent en jeu compromettent les économies légales et ont un impact direct sur la bonne gouvernance.
Dr Ghenadie Radu : Quel rôle doivent jouer les Douanes dans la lutte contre la criminalité transfrontalière organisée et quels sont les défis qu’elles rencontrent dans ce contexte.
M. Serge Rinkel : Pour soutenir l'économie, les douaniers doivent s'assurer en priorité que le montant prévisionnel des recettes est bien perçu. Afin de remplir cette mission, ils doivent lutter contre la fraude commerciale et la contrebande, qui entraînent l’évasion fiscale.
En dehors des grandes filières criminelles, on peut mentionner ici plusieurs domaines où les Douanes des pays de l’Afrique subsaharienne doivent renforcer leur vigilance, comme en matière de détournement des minerais, de trafic illégal du cacao et des noix de cajou, de la contrebande d’essences de bois rare et du carburant, de trafic des produits médicaux contrefaits, etc. Précisons au passage que la criminalité transfrontalière organisée peut être présente dans toute activité illicite, dès lors que celle-ci s’avère lucrative.
Au sujet des contrôles douaniers, et au cours de la dernière décennie, les Administrations douanières ont fait beaucoup d’efforts pour renforcer le contrôle traditionnel des marchandises présentées dans les Bureaux de dédouanement. La prise en charge des conteneurs a été nettement améliorée, avec des méthodes nécessairement différentes selon la gestion des terminaux portuaires et le degré local de sécurisation. Le recours aux scanneurs pour vérifier les conteneurs s’est répandu dans tous les pays subsahariens, même si le nombre d’infractions qu’ils ont permis de constater reste encore perfectible ; ils ont toutefois un effet dissuasif important et permettent parfois des saisies spectaculaires.
Les douaniers doivent encore apprendre à mieux gérer les risques pour une meilleure détection des irrégularités, des envois illicites, des mouvements suspects de personnes et de flux financiers. La partie la plus difficile du travail des agents est certainement celle portant sur des contrôles frontaliers, notamment dans des postes situés dans les zones les plus sensibles. Il convient de promouvoir et de soutenir davantage les unités interservices chargées de la surveillance des points de passage non gardés, des enquêtes sur le terrain, du ciblage et des interceptions de véhicules ou de navires suspects. Il faut renforcer partout la surveillance avec des moyens techniques comme les drones ou les avions légers et les radars automatiques qui détectent discrètement les mouvements illicites. Par ailleurs, l’équipement optronique permet d’envisager une surveillance automatisée à distance.
Le mot de la fin
M. Serge Rinkel : L’Afrique, est un grand et beau continent, berceau de l’Humanité, qui compte environ 1,5 milliards d’habitants, soit plus de 17% de la population mondiale, répartis sur 55 États. Malgré la richesse de son sous-sol avec environ 30% de réserves mondiales de minéraux, 8% de réserves mondiales de gaz naturel, 12% de réserves mondiales de pétrole, un quart des terres cultivables du monde, elle est confrontée aujourd’hui à des contraintes fondamentales de développement économique et social et malheureusement demeure le continent le plus pauvre du monde avec 34% de sa population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Cette image désolante de l’Afrique est liée, entre autres, aux activités criminelles transfrontalières. L’Afrique ne mérite pas ça. Les douaniers sont conscients qu’ils doivent faire des efforts pour contribuer à plus de stabilité, de développement et de paix, en redonnant ainsi de l’espoir aux jeunes générations. Le rôle des douaniers en Afrique subsaharienne est donc d’une grande importance. D’une part, ils sont bien informés sur les mouvements transfrontaliers. D’autre part, ils restent toujours à l’écoute pour améliorer leur connaissance des réseaux criminels, contribuant ainsi à contrer les menaces qui pèsent sur la sécurité des populations.
Les douaniers interagissent souvent avec leurs collègues des pays voisins pour partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques. Ces échanges contribuent à une meilleure collecte des recettes douanières, mais aussi au partage du renseignement sur les flux de contrebande. Ainsi, la communication entre les douaniers de différents pays de l’Afrique subsaharienne s’avère plus que nécessaire. Ce n’est pas seulement tendre la main à l’autre, c’est aussi avancer côte à côte. C’est reconnaître que nos forces se multiplient lorsque nous œuvrons ensemble pour un objectif commun, en l’occurrence celui de la sécurité des frontières et de la prospérité des Nations.
* * *
Altaprisma n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce texte. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. En aucun cas la responsabilité d’Altaprisma ne pourra être engagée. La reproduction partielle ou intégrale de ce texte est autorisée à condition d’indiquer la source.