La problématique du transit dans le corridor  Dar es Salaam (Tanzanie) - Lubumbashi (RDC)

 

Entretien avec Monsieur Peter MOLISHO BIN BOLINDE, Sous-directeur des Douanes Congolaises, Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / République Démocratique du Congo (RDC)

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Docteur en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF

 

Paris, le 8 février 2025

 

 

Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m’accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

M. Peter MOLISHO BIN BOLINDE : Licencié en Sciences Politiques et Administratives de l'Université de Lubumbashi et diplômé de l'Ecole Nationale des Finances, section Douane, j’ai intégré l’Administration des Douanes Congolaises en 1993 : Contrôleur, Vérificateur, Receveur, Inspecteur et Sous-directeur à la Direction de lutte contre la fraude, puis à la Direction de réformes et modernisation.

 

J’étais représentant de la Douane Congolaise en Tanzanie et suis conseiller technique et opérationnel pré-accrédité auprès de l'OMD en matière de transit pour les pays francophones.

J’ai été membre du groupe de travail de la Communauté de Développement de l'Afrique Australe (SADC) pour la mise en œuvre du régime régional de garantie douanière de transit et personne de contact à la Douane Congolaise auprès du Marché Commun de l'Afrique Orientale et Australe (COMESA).  

 

Sur le plan associatif, je suis membre du Rotary club Kinshasa-Binza, et avait occupé le poste de Président du club et Gouverneur adjoint du Rotary International en Afrique Centrale (district 9150).  Je suis également membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF).

 

 

Dr Ghenadie RADU : Le corridor de transit Dar es Salaam (Tanzanie) - Lubumbashi (RDC) est d’une grande importance pour cette région de l’Afrique. Ce corridor, qui s’étire sur un peu plus de 1800 km, lie la ville portuaire de Dar es Salaam à Lubumbashi, considérée comme la deuxième ville de la RDC de par son poids économique. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce corridor de transit ?

 

M. Peter MOLISHO BIN BOLINDE : Il est à noter que la RDC et la Tanzanie font partie de trois organisations régionales œuvrant pour la facilitation des échanges commerciaux régionaux, à savoir : la Communauté de Développement de l'Afrique Australe (SADC), le Marché Commun de l'Afrique Orientale et Australe (COMESA) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC).

 

S’agissant du corridor de transit Dar es Salaam (Tanzanie) – Lubumbashi (RDC), environ 40 % des tonnages déchargés au port de Dar es Salaam vont dans la province du Grand Katanga (province la plus méridionale de la RDC), en empruntant la route Dar es Salaam – Tunduma – Nakonde – Kasumbalesa - Lubumbashi. 

 

Les marchandises sont transportées principalement par les transporteurs tanzaniens pour atteindre Lubumbashi en passant par les postes frontières de Mokambo, de Sakania et de Kasumbalesa. Certaines cargaisons changent les moyens de transport à Kapiri Mposhi et à Ndola dans la province de Copperbelt en Zambie, en traversant la frontière par les rails à Sakania. 

 

Les produits pétroliers, les matières premières, les intrants des industries minières, les vivres, etc., utilisent ce corridor de transit. 

 

 

Dr Ghenadie RADU : Sur le plan douanier, quelles sont les problématiques du transit liées au corridor Dar es Salaam (Tanzanie) – Lubumbashi (RDC) ?

 

M. Peter MOLISHO BIN BOLINDE : La bonne gestion et la sécurisation de la chaine logistique tout au long de ce corridor de transit est d’une importance capitale pour la région, car cela permet à la RDC de mobiliser et de maximiser les recettes douanières et de lutter contre la fraude. 

 

Le volume considérable des marchandises déchargées au port de Dar es Salaam est le plus souvent déclaré soit en consommation définitive à destination du marché tanzanien, soit en transit vers la RDC (en utilisant le corridor Dar es Salaam – Lubumbashi).

 

La question que l'on pourrait se poser est celle de savoir si toutes les marchandises déclarées sous le régime de transit au port de Dar es Salaam, à destination de la RDC, quittent réellement la Tanzanie et arrivent sur le territoire congolais ?

 

Il est à noter que l'Administration des Douanes Tanzanienne et l'Autorité Portuaire Tanzanienne (TPA) de Dar es Salaam sont, pour le moment, peu équipées en outils nécessaires au traitement des données douanières. « Tanzania Customs Integrity System » est le système informatique utilisé actuellement par la Douane Tanzanienne, dont l’un des objectifs est la fluidification du trafic portuaire pour éviter l'engorgement au niveau du port, compte tenu du nombre important des navires qui accostent journellement. 

 

Une fois au port, les marchandises bénéficient de 45 jours sans frais de séjour. Ce délai passé, elles sont soumises à certaines contraintes, allant jusqu'à la vente aux enchères, si nécessaire.  

 

Dans les années 2008 et 2011, des enquêtes étaient menées par des experts internationaux concernant les marchandises déclarées en transit vers la RDC, en utilisant notamment le corridor Dar es Salaam - Lubumbashi. A l'issue de ces enquêtes, il était démontré qu’un volume important des marchandises était consommé en Tanzanie, sans payer les droits et taxes, car déclarées en transit vers la RDC. Souvent les documents de transport étaient établis dans les pays d'exportation, avec comme destination finale la RDC. Les marchandises les plus concernées par ce phénomène sont les produits pétroliers, l'huile végétale, les tissus imprimés, les cigarettes, le sucre, les véhicules neufs, etc.

 

Du point de vue statistique, ce phénomène fausse le calcul de la balance commerciale entre la Tanzanie et la RDC. Par conséquent, la Tanzanie subie une perte importante des recettes. C’est aussi le cas pour le Trésor de la RDC, car certaines marchandises, destinées initialement à la RDC, ne franchisent jamais les frontières congolaises.

 

Pour compléter le tableau, il serait opportun de mentionner des cas de rupture de charge en Zambie concernant les marchandises en transit vers la RDC. Cela arrive de temps en temps, car certains transporteurs passent par des frontières non régulières, ou non informatisées, pour atteindre la ville de Lubumbashi. Ici aussi un décalage pourrait être observé entre les projections statistiques et les marchandises réellement arrivées sur le territoire congolais.  

 

 

Dr Ghenadie RADU : Toujours sur le plan douanier, quelles seraient les pistes pour améliorer la situation afin que le corridor de transit Dar es Salaam (Tanzanie) – Lubumbashi (RDC) soit plus fluide et efficace ? 

 

M. Peter MOLISHO BIN BOLINDE : Pour tenter d’améliorer la situation, il faudrait avant tout œuvrer pour un changement des mentalités, en mettant l’accent sur les responsabilités de chacun, mais aussi en formant davantage tous les acteurs concernés par ce corridor de transit. Plusieurs initiatives, plus ou moins réussies, ont été entreprises en ce sens.

 

Pour commencer, l'adhésion des trois pays concernés par ce corridor de transit (RDC, Tanzanie, Zambie) au COMESA et à la SADC avait la prétention de sécuriser la chaine logistique entre les pays en question, de lutter contre la fraude et d'aider à la mobilisation des recettes douanières. 

 

En 2012 la RDC et la Tanzanie, après le constat malheureux de fraude qui s’est développée dans la chaine logistique du corridor, ont signé des Accords d'Assistance Mutuelle et Administrative (AAMA) avec comme objectifs principaux l'échange d'informations sur le transit et la lutte commune contre la fraude. 

 

L'installation d'un Bureau de représentation de la Douane Congolaise au port de Dar es Salaam en Tanzanie s’inscrit dans cette logique de coopération entre les Etats et fait partie des solutions pour sécuriser la chaine logistique et lutter contre la fraude et cela afin de rendre le transit plus fluide et permettre à la RDC de collecter plus efficacement les recettes.

 

Le tableau ne serait pas complet sans mentionner la « procédure du territoire douanier ». Cette procédure, mise en place par la RDC, la Tanzanie et la Zambie, fait considérer le premier pays où arrivent les marchandises comme étant un magasin sous surveillance douanière. Pour sécuriser la collecte des recettes douanières et lutter contre la fraude dans le corridor, les transitaires sont obligés de souscrire les déclarations de mise à la consommation ou de mise en entrepôt au pays de destination finale. En l’espèce, après la visite de la cargaison par les douaniers du pays de destination installés au port de Dar es Salaam et le versement au budget de la RDC des droits et taxes dus à l’importation, la Douane Tanzanienne procède à la mainlevée de la cargaison et autorise la sortie des marchandises du port. La « procédure du territoire douanier » s’est avéré donc une solution appropriée pour lutter contre le phénomène de la fraude et contribuer à la collecte des recettes.

 

Enfin, et pour changer de registre, il serait opportun que les trois pays concernés par le corridor de transit (RDC, Tanzanie, Zambie) utilisent non seulement les mêmes outils informatiques, mais aussi une documentation douanière harmonisée, permettant de sécuriser et de fluidifier davantage ce corridor.

 

 

Le mot de la fin 

 

M. Peter MOLISHO BIN BOLINDE : Pour améliorer la fluidité de la circulation des marchandises tout au long du corridor de transit Dar es Salaam – Lubumbashi, il faudrait continuer à développer davantage les infrastructures, adapter les Codes de douanes aux réalités du commerce international et surtout œuvrer pour le changement des mentalités de tous les acteurs concernés par ce corridor de transit.

 

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