Entretien avec Monsieur Nicolas BEYTRISON,
Chef d’équipe au Niveau Local de Genève Rive-Gauche, formateur « Allegra »,
Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Suisse
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Docteur en droit, ALTAPRISMA
(formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF
Genève, le 4 février 2025
Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m’accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
M. Nicolas BEYTRISON : Entré à la Douane suisse en 1996, j’ai suivi tous les cours de ce qu’il convient nommer aujourd’hui « l’ancienne formation en douane commerciale » (une année en internat au centre de formation afin d’obtenir le brevet fédéral de spécialiste en douane, puis 6 ans de pratique ponctuée de 4 examens nationaux, échelonnés dans le temps). J’ai travaillé à la frontière terrestre entre la Suisse et l’Allemagne avant de revenir à l’aéroport de Genève, puis sur l’autoroute entre la Suisse et la France.
Depuis 2008, j’ai régulièrement été proposé par ma hiérarchie pour donner des cours au sein de l’Administration douanière (AFD - Administration Fédérale des Douanes, devenue en 2022 OFDF - Office Fédéral de la Douane et de la sécurité des Frontières). Désormais titulaire du brevet de la Fédération Suisse pour l’Enseignement aux Adultes, je poursuis, en parallèle de mon travail quotidien au Bureau de douane, une carrière d’instructeur pour le programme « Allegra » : je forme aux bases du Système Harmonisé mes collègues qui ont reçu une formation sécuritaire (les anciens « gardes-frontière »).
Dr Ghenadie RADU : Comment pourriez-vous définir le classement tarifaire des marchandises qui se base sur le Système Harmonisé (SH) de désignation et de codification des marchandises ? Pourquoi il est si important de bien maîtriser cette notion pour le bon déroulement des échanges commerciaux internationaux ?
M. Nicolas BEYTRISON : Je vois, à titre personnel, la connaissance du Système Harmonisé (SH) comme l’apprentissage d’une langue étrangère mondiale, comme pourrait l’être l’espéranto (langue universelle créée par L.-L. Zamenhof en 1888). Grâce à cette « langue douanière », faite de codes à 4 et 6 chiffres, dépourvue de grammaire bien que soumise à certaines règles, il est possible aux douaniers du monde entier de communiquer au moyen de codes douaniers représentant des objets concrets. A l’instar d’une langue étrangère qu’on apprend à l’âge adulte, il est nécessaire de passer du temps pour découvrir le SH, pour en appréhender la complexité et la beauté.
La maîtrise du SH doit permettre d’identifier avec certitude le code douanier de la marchandise dont on parle lors d’une série de processus douaniers ayant pour cadre la frontière, ou une réunion internationale dans le but de mettre en place un accord de libre-échange. Le principe veut que, pour une même marchandise, chaque douanier, ou chaque entreprise, puisse attribuer le même code douanier. Il faut donc bien connaitre le SH que j’aime présenter comme un labyrinthe, avec ses salles (positions tarifaires à 4 chiffres) et ses panneaux indicateurs (notes de sections et de chapitres). Or, pour pouvoir se promener sans effort dans un labyrinthe, il faut en connaitre chaque recoin, chaque embranchement, chaque cul-de-sac.
Toutefois, malgré les règles qui régissent le SH, on arrive encore à débattre d’un numéro de tarif et à ne pas forcément être d’accord ; une maxime dit d’ailleurs à ce sujet « un objet, deux douaniers, quatre avis ». Ce sont ces différences d’interprétation qui font le bonheur du connaisseur expérimenté du SH : on argumente, on débat, dans un esprit bienveillant, avec un collègue qui vit à l’autre bout de la planète, mais qui connait également la langue du SH. Cela me rappelle mes échanges passionnants avec Monsieur Kaci Abès, décédé maintenant, qui était l’un des rédacteurs du SH ; il avait passé 15 années de sa vie à écrire (avec d’autres rédacteurs) les quelques 5000 positions du SH et à les ranger dans l’ordre que nous connaissons aujourd’hui. Quel Maître en la matière !
Pour revenir à votre question, je dirais que l’importance d’associer le bon code douanier à une marchandise doit assurer une perception correcte des droits de douane et des impôts prévus par chaque pays. La statistique du commerce extérieur va être basée sur les relevés des douanes dans le but d’analyser les flux de marchandises importées et exportées. Il existe également la possibilité d’activer, en fonction du numéro de tarif, un levier non-douanier (normes techniques applicables à une marchandise, protection du consommateur grâce à une base légale autre que douanière, etc.). Trouver le bon numéro de tarif permet de démarrer toute une série de processus qui seraient autres avec un numéro de tarif différent : une erreur de classement tarifaire peut entrainer toutes une série de conséquences.
Dr Ghenadie RADU : Concrètement, comment faire pour connaitre le classement tarifaire des marchandises ? Quelles sont les règles de détermination ?
M. Nicolas BEYTRISON : Le SH a été conçu pour pouvoir donner à chacun de ses utilisateurs les clés pour un emploi correct. Ces clés, ce sont tout d’abord les Règles Générales (RG) que je ne vais pas développer ici. Ces RG se trouvent en tête du document employé par chaque douanier, elles sont dans les premières pages de son « tarif des douanes » et sont évidemment les mêmes pour tous. Une deuxième assistance est assurément le travail de l’OMD, qui rend, dans les cas les plus fins ou les plus complexes, des décisions de classement.
L’expérience enfin vient conforter le personnel douanier dans sa pratique du classement SH des marchandises. Comme pour toutes disciplines, l’expérience acquise est une somme d’erreurs faites, de duels perdus ou gagnés, de discussions avec les plus anciens, avec des conseillers.
L’une des dimensions les plus compliquées est qu’il faut trouver le bon numéro de tarif selon les RG et non pas selon des considérations personnelles. Par exemple, on ne peut pas prétendre que telle marchandise va dans tel numéro de tarif, car le taux des droits de douane est plus élevé que les taux d’autres numéros de tarif entrant valablement en ligne de compte. Le classement doit être uniforme, et ce n’est que lorsque la tarification est faite correctement que les droits de douane, les permis, les interdictions, peuvent être évalués correctement. Une erreur de tarification peut, on le conçoit aisément, changer radicalement la façon de percevoir les redevances, l’obligation ou non à un permis, etc.
Personnellement, j’apprécie tout particulièrement la RG1 grâce à laquelle on peut classer le plus grand nombre des marchandises, mais qui n’est pas aussi simple qu’il y parait. D’autre part, la RG4, qui fait intervenir l’analogie, me donne à imaginer des produits invraisemblables afin de pouvoir être présentée aux apprenants, et je trouve ce petit exercice d’imagination fort stimulant.
Dr Ghenadie RADU : Auriez-vous des exemples à nous donner concernant le classement tarifaire des marchandises ?
M. Nicolas BEYTRISON : Nous avons eu dernièrement le cas intéressant d’un mélange d’huiles végétales (70% tournesol + 30% olive). Sans doute, devant résoudre la problématique du mélange, la personne chargée de la déclaration a voulu activer la RG2B : s’il y a 70% d’huile de tournesol, alors on peut considérer que c’est de l’huile de tournesol relevant de la position n° 1512 du tarif. L’expérience du collègue a permis de voir qu’il fallait d’abord appliquer la RG1 : il existe en effet la position tarifaire n°1517 dans laquelle on classe les mélanges d’huiles végétales. C’est ce genre de subtilités qui montrent à la fois la complexité du SH, la puissance de la RG1 et l’expérience de ce douanier.
Un autre exemple de classement tarifaire un peu complexe est celui du complet pour homme, en tissu (50% coton + 50% fibres synthétiques). Le réflexe serait d’aller directement à la RG3C et d’attribuer à cette marchandise le dernier numéro entrant en ligne de compte entre le 6203.12 (costumes en fibres synthétiques) et le 6203.19 (costumes en autres matières textiles), soit le 6203.19. L’astuce est d’employer la RG1 et de procéder au classement en respectant les notes de section. Ici, il faut en effet parcourir les pages d’ouverture de la section XI (textiles) et appliquer la note de la sous-position 2a/XI (détermination de la matière textile d’un vêtement). Cette note renvoie à la note 2/XI (détermination du chapitre dans lequel est classé le tissu qui compose le vêtement), qui détermine juridiquement la taxation au 6203.12. Malgré un immense détour, la RG1 a permis, une fois de plus, de trouver la solution correcte !
Un dernier exemple me vient d’une histoire racontée par le fameux M. Abès. Professeur en matière de SH lui-même, il avait grimpé sur son pupitre, en plein milieu de son cours, pour démonter une vis de ventilateur. La présentant triomphalement à sa classe, il avait demandé à ses élèves si la vis devait être considérée comme « partie de ventilateur ». Ce petit spectacle aura permis aux élèves d’enregistrer la définition des « parties et fournitures d’emploi général », selon la note 2/XV.
Dr Ghenadie RADU : Ces derniers temps, il est de plus en plus fréquent d’entendre que l’Intelligence Artificielle (IA) pourrait avoir un impact significatif sur l’organisation entière du commerce international dans les années à venir. En matière de classement tarifaire des marchandises, l’IA pourrait-elle devenir une aide à la décision précieuse et efficace et cela afin de trouver plus facilement le bon code SH ?
M. Nicolas BEYTRISON : J’ai évidemment entendu parler de l’Intelligence Artificielle et c’est vrai qu’une certaine incertitude peut germer dans l’esprit des uns ou des autres. Il s’agit en effet de demander à l’IA dans quel numéro de tarif doit être classée la marchandise M, puis une réponse est donnée. Mais cette réponse proposée par l’IA est-elle correcte ? Peut-on la justifier par cette éternelle RG1 et donc par des notes de sections ou de chapitres, ou par une autre RG ? D’accord, on aura globalement atteint la cible : sans doute le chapitre sera-t-il correct, pourquoi pas les 4 premiers chiffres de la position SH ; mais après ? J’émets personnellement des doutes quant au fait qu’on puisse faire confiance à 100% à l’IA. Une taxation a trop d’implications juridiques pour ne pas être finalement déterminée par un humain.
Donc oui, l’IA peut assister le néophyte en la matière, mais le douanier, avec sa connaissance étendue de chaque recoin du labyrinthe qu’est le SH, sera plus précis dans sa réflexion, même si, sans doute, il perdra en rapidité face à la machine.
Le mot de la fin
M. Nicolas BEYTRISON : Merci à vous, Docteur RADU, pour votre belle initiative. J’ai répondu à vos questions portant sur un domaine qui me plait en mon nom propre, avec mes sentiments vis-à-vis du SH. Cette discipline, base de toutes les procédures douanières, est un très vaste sujet : le labyrinthe est immense ; c’est ce qui fait que la discipline est passionnante. On n’a jamais fini d’en faire le tour, de découvrir de nouvelles notes, de discuter avec les spécialistes, de s’animer parce qu’on pense autrement, à cause de l’interprétation qu’on fait de telle ou telle note.
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