Entretien avec Monsieur Ndiaga SOUMARE, Inspecteur principal des Douanes de Classe exceptionnelle, Docteur d’Etat en droit, Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Sénégal
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Docteur en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF
Paris, le 16 janvier 2025
Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m’accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
Dr Ndiaga SOUMARE : Je suis juriste de formation, titulaire d’une Maitrise en droit privé judiciaire, d’un Master 2 en droit de l’intégration et de l’OMC et d’un Doctorat d’Etat à l’Université Cheikh Anta DIOP (UCAD) de Dakar.
Breveté de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) depuis 2005, section Douanes, j’occupe actuellement les fonctions de Chef du Bureau des Douanes Dakar Hydrocarbures, un service spécialisé dans le dédouanement des hydrocarbures et chargé de la surveillance douanière de la circulation des hydrocarbures. Je dois préciser qu’au moment de l’entretien, un décret présidentiel m’a nommé aux fonctions de Directeur des Enquêtes douanières.
Parallèlement à mes fonctions, je dispense des cours sur la législation douanière à la Faculté des Sciences juridiques et Politiques dans le cadre du Master Droit Douanier et Droit du Commerce International, fruit d’une convention de partenariat entre l’UCAD et les Douanes sénégalaises.
Sur le plan socio-professionnel, je milite en faveur de la promotion des droits de l’homme et de la consolidation de l’Etat de Droit et suis engagé dans la défense des intérêts matériels et moraux des agents des Douanes et de l’Administration des douanes.
Dr Ghenadie RADU : Comment pourriez-vous définir la criminalité transnationale organisée (CTO) ?
Dr Ndiaga SOUMARE : La problématique de la criminalité transnationale organisée m’interpelle à plus d’un titre, puisque j’ai eu à soutenir une thèse de doctorat en droit à ce sujet, objet par la suite d’un ouvrage intitulé : « Le droit douanier à l’épreuve de la criminalité transnationale organisée dans l’espace CEDEAO », publié chez l’Harmattan Dakar, en 2019, 403 pages.
Je crois que la meilleure manière d’appréhender la criminalité transnationale organisée est de prendre comme référentiel la Convention de Palerme qui pour la définir, « renvoie à une typologie d’infractions graves commises, dans deux ou plusieurs Etats, par des individus, le plus souvent organisés en réseaux et utilisant des marchandises illicites ». Les groupes criminels organisés sont constitués de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou matériel.
En référence à la terminologie utilisée par la Convention de Palerme, les activités frauduleuses concernées sont passibles d’une peine privative de liberté dont le maximum ne doit pas être inférieur à quatre ans ou d’une peine plus lourde. Celles-ci visent, pour l’essentiel, les trafics illicites d’armes, de stupéfiants, de déchets toxiques, de personnes, de migrants, d’organes, d’espèces de faune et de flore protégées, ainsi que des infractions connexes telles que le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Dr Ghenadie RADU : Sur le plan douanier, quelles sont les difficultés liées à la lutte contre ce phénomène ?
Dr Ndiaga SOUMARE : De prime abord, les difficultés découlent du caractère national du droit pénal qui a montré toutes ses limites face à la criminalité transnationale qui est favorisée par la mobilité des individus en raison de la libre circulation des personnes et des biens, par le développement des moyens de transport qu’ils soient maritimes, aériens ou terrestres et par les possibilités qu’offrent les technologies de l’information et de la communication.
Partant de là, les difficultés au plan douanier peuvent être regroupées en trois catégories :
Dr Ghenadie RADU : Le droit douanier sénégalais est-il suffisamment armé pour lutter contre la criminalité transnationale organisée ?
Dr Ndiaga SOUMARE : Dans le domaine de la surveillance, tout comme en matière de contrôle des opérations commerciales, le droit douanier sénégalais a connu, ces dernières années, des avancées majeures consistant à renforcer son dispositif de contrôle.
Ces efforts d’adaptation du droit douanier sénégalais à la lutte contre la criminalité transnationale organisée se reflète à travers l’adoption, en 2014, d’un nouveau Code des douanes qui a aménagé de nouvelles techniques d’investigations telles que l’infiltration, la livraison surveillée, l’incitation à la vente illicite de marchandises prohibées, le recours aux aviseurs, etc.
Mais, il faut reconnaitre que des mutations du droit douanier sont toujours attendues. Aujourd’hui, la seule habilitation des agents des douanes à se prévaloir des pouvoirs de police judiciaire ne suffit plus et est loin de garantir une action efficace pour la répression de l’infraction criminelle de nature transnationale, d’autant plus que l’agent des douanes est invité à agir sur la base de codes spécifiques qui ne lui sont pas toujours familiers.
Au demeurant, il faut que tous les Etats membres d’un espace géographique partageant les mêmes préoccupations sécuritaires coordonnent leurs efforts en vue de la mutualisation des actions de lutte contre la CTO.
Il s’agit aussi et surtout d’aborder la question de la sécurisation des procédures douanières sous l’angle des recommandations de l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) dans ses instruments pertinents relatifs notamment à l’appropriation du Cadre de normes SAFE sur la sécurité et la facilitation de la chaine logistique internationale.
Dr Ghenadie RADU : Mis à part les accords de coopération signés entre les Administrations douanières, existe-t-il un cadre juridique international permettant d’encadrer la lutte contre la criminalité transnationale organisée ?
Dr Ndiaga SOUMARE : Comme rappelé plus haut, la Résolution 55/25 de l’Assemblée générale du 15 novembre 2000 portant sur la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, dite « Convention de Palerme » est le cadre juridique le plus abouti en la matière, même si, avant cette date, plusieurs autres résolutions avaient été prises en matière de sécurité concernant, notamment la création de Comités spéciaux chargés d’élaborer des instruments de lutte contre le terrorisme international, le trafic des femmes et d’enfants, le trafic illicite de migrants, etc.
Il convient de préciser que la Convention de Palerme encourage les Etats à développer des Conventions d’assistance mutuelle administrative à l’image de celle de Nairobi adoptée par le Conseil de Coopération douanière, devenu Organisation Mondiale des Douanes (OMD), portant sur la prévention, la recherche et la répression des infractions douanières.
C’est ainsi que s’inspirant des Conventions de Nairobi et de Palerme qui traite de la mutualité de l’assistance de la part d’Administrations impliquées dans une enquête liée à la criminalité organisée, les Etats membres de la CEDEAO, dont le Sénégal fait partie, ont adopté à Cotonou, le 29 mai 1982, une Convention d’assistance mutuelle et administrative en matière de douane.
Dr Ghenadie RADU : Quelles seraient vos recommandations pour rendre plus efficace la lutte contre la criminalité transnationale organisée ?
Dr Ndiaga SOUMARE : La criminalité transnationale organisée constitue un danger pour le marché commun et menace la stabilité des Etats. Les Douanes sont interpellées à plus d’un titre parce qu’il y a des marchandises qui passent les frontières dont l'utilisation malveillante est la cause de violence et d'insécurité.
Il y a des opérations qui impliquent l'intervention de personnes malintentionnées, regroupés en réseau et réparties dans plus de deux pays pour semer la violence. Il faudra démanteler ces réseaux et chaque service de sécurité est appelé à jouer sa partition dans la parcelle de terrain ou s'opère sa compétence et ses attributions. Il faut donc que les services en question coordonnent davantage leurs actions.
Le droit douanier confronté à la criminalité transnationale organisée est contraint d’évoluer dans un double mouvement : il doit relativiser ses rapports avec la procédure pénale et se rapprocher du droit commun au regard de la responsabilité pénale. Dès lors, l’action de la Douane devrait s’inscrire dans la judiciarisation des sanctions douanières et dans l’attribution à certains douaniers de prérogatives de police judiciaire.
Si l’on prend en compte les nouvelles exigences du commerce électronique, la recommandation forte serait d’inviter les Etats confrontés aux mêmes menaces sécuritaires d’harmoniser leur législation douanière à travers l’adoption d’un Code des douanes commun.
L’institution de bureaux spécialisés en matière de lutte contre la cybercriminalité, la surveillance et le dédouanement des services transfrontaliers, la création d’unités composées d’agents de douane judiciaire et l’aménagement d’une place essentielle pour le juge dans le traitement du contentieux douanier, sont autant de réformes nécessaires pour mieux prendre en charge la lutte contre la criminalité transnationale organisée.
Le mot de la fin :
Dr Ndiaga SOUMARE : Cet entretien m’offre l’opportunité de partager les résultats de mes recherches doctorales avec la communauté douanière francophone. C’est pourquoi je voudrais adresser ici mes remerciements appuyés à l’AIDF pour toutes les initiatives qu’elle ne cesse de prendre visant à renforcer les échanges entre collègues douaniers de différents pays. Ma gratitude va aussi au Dr RADU, qui a permis de rendre possible cet entretien. Enfin, je tiens à remercier l’Administration des douanes, mes collègues sénégalais et tous ceux qui œuvrent pour le rayonnement de la matière douanière et la consolidation de la paix.
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