Entretien avec Monsieur Winega Baroma BAMANA, Inspecteur principal des Douanes à la retraite et Ancien Attaché douanier à Genève, Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Togo
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF
Paris, le 19 juin 2024
Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
M. Winega Baroma BAMANA : J’ai une formation universitaire en économie et gestion (Maîtrise) et un diplôme de l’Ecole Nationale des Douanes obtenu en France (53e session d’élèves-inspecteurs / Neuilly-sur-Seine). J’ai occupé diverses fonctions au sein des Douanes togolaises avant de terminer ma carrière à Genève (Suisse) comme Attaché douanier chargé des questions commerciales internationales et douanières pendant sept ans.
Altaprisma : De quoi s’agit-il exactement lorsqu’il est question de la facilitation des échanges sur le plan douanier ?
M. Winega Baroma BAMANA : Le terme général de facilitation des échanges recouvre l’ensemble des mesures visant à réduire les formalités administratives aux frontières. Il s’agit de la simplification, de la modernisation et de l’harmonisation des processus d’exportation et d’importation.
Sur le plan douanier, la facilitation des échanges signifie que les Douanes doivent trouver le meilleur équilibre possible entre le maintien des contrôles aux frontières afin d’endiguer le commerce illicite et la garantie d’un passage sans encombre pour les échanges licites.
Altaprisma : Quel rôle est joué par l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) dans la promotion du dispositif « facilitation des échanges » ? Qu’en est-il de l’harmonisation dans ce domaine au niveau international ?
M. Winega Baroma BAMANA : L’OMD joue un rôle important dans la facilitation des échanges à travers un certain nombre d’outils qu’elle a mis à la disposition de ses membres. Nous pouvons citer, entre autres, la Convention internationale pour la simplification et l'harmonisation des régimes douaniers (Convention de Kyoto révisée, CKR), le cadre de normes SAFE (Safe And Facilitation in a global Environment), le recueil sur la gestion des risques, les directives sur la mainlevée immédiate, sur le contrôle a posteriori, sur le contrôle de l’évaluation, les guides, les manuels, etc.
Concernant l’harmonisation au niveau international, elle devrait être une réalité depuis l’entrée en vigueur, en 2017, de l’Accord de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sur la facilitation des échanges (AFE) qui vise à stimuler le commerce mondial en accélérant le mouvement, la mainlevée et le dédouanement des marchandises, y compris des marchandises en transit.
Pour une application harmonisée de l'AFE, l’OMD a mis à la disposition des Administrations douanières des orientations en matière de mise en œuvre de la section I de l’accord.
Altaprisma : Partant du fait que la Douane est un acteur clé des échanges commerciaux internationaux, comment cette Administration permet de faciliter les échanges, contribuant ainsi à accroitre la compétitivité des entreprises et le développement des marchés nationaux ?
M. Winega Baroma BAMANA : Nous savons que des règles douanières contraignantes constituent un réel obstacle pour les entreprises participant au commerce international. C’est pourquoi en tant qu’acteur clé des échanges commerciaux internationaux, la Douane, dans son rôle économique, contribue à la croissance des entreprises et au développement des marchés nationaux par la mise en place de programmes de simplifications des procédures douanières comme le dédouanement par voie électronique, les régimes douaniers adaptés à l’évolution des entreprises, le programme « Opérateurs économiques agréés » (OEA), etc.
Un autre outil important et efficace conçu par l’OMD et mis à la disposition de la Douane est le dossier sur la compétitivité économique (DCE) qui comprend les instruments et outils existants de l'OMD qui contribuent à la croissance économique.
L’entrée en vigueur de l’AFE constitue un avantage indéniable pour les entreprises. En effet, d’après une étude du Forum économique mondial, la mise en œuvre de l’AFE pourrait engendrer dans certains pays une hausse de 60 à 80 % des ventes internationales des petites et moyennes entreprises (PME). A noter également que des procédures simplifiées aux frontières influent positivement sur les décisions d’investissement des entreprises et ainsi, peuvent aider à attirer les investissements étrangers directs contribuant donc au développement des marchés nationaux.
Altaprisma : En matière de facilitation des échanges, les restrictions commerciales apparaissent souvent comme des freins au bon déroulement des échanges commerciaux internationaux. Auriez-vous des exemples à nous donner ?
M. Winega Baroma BAMANA : Généralement et pour diverses raisons, les États ont recours à des restrictions commerciales que l’on peut regrouper en deux catégories : les mesures tarifaires et les mesures non tarifaires. Ces deux catégories de mesures fonctionnent comme deux vases communicants : la baisse des premiers relève les seconds. C’est ce qui explique que, même si l’Uruguay round, un des cycles de négociations commerciales du GATT / OMC (1986-1994) a permis l’effondrement sans précédent des droits de douane un peu partout dans le monde, on a remarqué, en revanche, la prolifération des mesures non tarifaires qui ont pris souvent la forme de contingents, de régimes de licences à l'importation, de réglementations sanitaires excessives, de prohibitions, de normes, etc.
Dans le contexte économique et politique de notre monde actuel, l’on constate que les États utilisent leurs politiques commerciales pour nuire aux autres États (guerres économiques et commerciales). Par exemple, on note que les nombreuses restrictions commerciales, nées des tensions commerciales de plus en plus vives entre la Chine et les États-Unis, ont entrainé un fort ralentissement des échanges pour certaines catégories de produits comme les semi-conducteurs. D’autres produits, tels que les panneaux solaires, les véhicules électriques, les batteries et semi-conducteurs, ainsi que l’acier et l’aluminium, font l’objet d’une augmentation des droits de douane par les Etats-Unis.
Dans le même esprit, au niveau de l’Union européenne, les conclusions du rapport commandé par la Commission européenne sur les subventions dans le secteur automobile chinois pourraient conduire à une hausse des droits de douane.
Les considérations liées à la sécurité jouent aussi un rôle de plus en plus important dans les politiques commerciales des États. Par exemple, à l’OMC, le nombre de préoccupations commerciales concernant des mesures faisant référence à la « sécurité nationale » a fortement augmenté ces dernières années.
Dans le rapport de l’OMC sur le commerce mondial 2023, on peut lire ce qui suit :
« Les mesures de politique commerciale adoptées au titre de la sécurité peuvent prendre des formes très différentes, illustrant ainsi que la notion de sécurité est devenue beaucoup plus large. Les données de l’OMC sur le suivi du commerce montrent par exemple comment, à l’issue du déclenchement de la guerre en Ukraine, les restrictions à l’exportation ont augmenté, une tendance également observée pendant la pandémie de COVID-19. Les restrictions à l’exportation de matières premières essentielles ont plus que quintuplé au cours de la dernière décennie. […]
Les normes techniques sont un autre domaine dans lequel les préoccupations en matière de sécurité nationale sont en hausse. Une illustration en est le débat sur le déploiement des services de téléphonie mobile 5G. De même, les sanctions et les contrôles à l’exportation se sont multipliés, en particulier en ce qui concerne les technologies de pointe. »
Un autre exemple est l’utilisation des formalités administratives excessives comme instrument de politique commerciale. L’on se rappelle le cas célèbre de la procédure de dédouanement des vidéocassettes imaginée par la France en 1982. Ainsi, au lieu de procéder à leur dédouanement dans les ports du Nord du pays, il a été décidé que ce type de produits devaient être dédouanés au Bureau de douane de Poitiers, qui était déjà débordé. Ceci a entrainé un allongement des délais de 2 à 3 mois au lieu de 2 jours auparavant. Conséquences, les quantités importées ont chuté de 64 000 unités par mois à 10 000.
Pour décourager les importations, les États peuvent aussi retarder considérablement l’émission de licences d’importation, imposer des normes sanitaires, environnementales, ou aussi fixer des restrictions quantitatives.
Altaprisma : Comment concilier la facilitation des échanges et la mise en place des contrôles douaniers ciblés et efficaces ?
M. Winega Baroma BAMANA : Afin de réussir à concilier facilitation et contrôles, les Administrations des douanes devraient, comme le prescrivent, entre autres, la Convention de Kyoto révisée et l’Accord sur la facilitation des échanges, recourir à la gestion des risques et cesser de recourir systématiquement aux contrôles des mouvements de marchandises. Elles devraient faire davantage appel aux contrôles par audit, en introduisant, par exemple, des procédures simplifiées ou des systèmes de liquidation de la dette douanière par l’entreprise.
Des outils de l’OMD, tels que le Cadre de normes SAFE visant à sécuriser et à faciliter les échanges commerciaux internationaux, le Cadre de normes pour le commerce électronique transfrontalier, la CKR, etc., sont bien à la disposition des Administrations douanières pour améliorer leurs pratiques.
La gestion des risques constitue un élément clé dans la poursuite de cet objectif et devrait donc faire partie intégrante du programme de contrôle de toute Administration douanière moderne.
Puisque les entreprises adoptent rapidement les nouvelles technologies numériques et s’adaptent afin de profiter de l’essor du commerce électronique, les Douanes sont de plus en plus tenues d’introduire de nouvelles procédures et techniques, telles que la gestion des risques et le traitement de renseignements préalables transmis par voie électronique, pour pouvoir remplir leur mission et faciliter les échanges tout en protégeant les recettes et la société.
Le mot de la fin :
M. Winega Baroma BAMANA : Pour importer ou exporter, les entreprises doivent respecter, aux frontières, une réglementation et des procédures douanières qui ont un certain coût. Selon certains économistes cités par l’OMC dans son rapport sur le commerce mondial 2023, un jour supplémentaire en transit équivaut à un droit ad valorem compris entre 0,2 % et 2 %. L’Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges (AFE) vise donc à simplifier un certain nombre de processus et de procédures afin d’améliorer l’efficacité des pratiques, les réglementations douanières et la gestion aux frontières.
Le secteur privé devrait continuer à exiger une meilleure application des dispositions de l’AFE, pour tirer un maximum de bénéfices.
Du côté des Administrations douanières en coopération avec d’autres Agences gouvernementales, la pandémie de Covid-19 a mis en évidence la nécessité urgente pour elles de s’orienter vers des services « sans papier ». La transition des systèmes papier vers les systèmes électroniques devra se faire en consultation avec toutes les parties prenantes aux frontières. Ceci permettrait de minimiser les obstacles et éviter les duplications inutiles. En définitive, la gestion des risques est incontournable afin de réussir à concilier facilitation des échanges et contrôles efficaces.
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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