Les zones franches et les entrepôts francs. Le cas de la Tunisie

 

Entretien avec Monsieur Jarray MOHSEN, Receveur des douanes à Rades port Tunis-Tunisie, Membre de l’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) / Tunisie

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Docteur en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF

 

Paris, le 12 décembre 2024

 

 

Dr Ghenadie RADU : Merci d’avoir trouvé le temps de m’accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

 

M. Jarray MOHSEN : En fonction depuis 1996, j’occupe désormais le poste de Receveur des Douanes au Bureau frontalier Radès Port-47 (Direction Générale des Douanes Tunisiennes). 

 

L’Administration reconnaissante m’a honoré de la Médaille d’Honneur (Deuxième Classe en 2013 et Première Classe en 2023). En 2016, j’ai été promu au grade de Colonel Major des Douanes. Depuis juillet 2024, je suis l’accrédité comme Conseiller Technique et Opérationnel (CTO) en matière de zones franches auprès de l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD). 

 

 

Dr Ghenadie RADU : Comment la réglementation tunisienne définit-elle les zones franches et les entrepôts francs ?

 

M. Jarray MOHSEN : La législation tunisienne définit les zones franches comme une enclave terrestre indépendante instituée en vue de faire considérer les marchandises qui s’y trouvent comme étant hors du territoire douanier en ce qui concerne l’application des droits et taxes dus à l’importation ainsi que des restrictions relatives au contrôle du commerce extérieur et des changes.

 

Les zones franches sont des parties du territoire douanier soumises à la surveillance douanière, aménagées et destinées à recevoir les marchandises provenant d’une opération de transport international ou destinées à faire l'objet d’une opération de transport international, en vue de fournir des services rattachés à ces marchandises, notamment :

  • le transbordement ;
  • l'emballage et le conditionnement ;
  • le contrôle de la qualité ;
  • l'entreposage en vue de l’accomplissement des formalités dédouanement, de transbordement, d'exportation ou de réexportation ;
  • l'accomplissement des opérations de transformation.

Les marchandises étrangères sont admises dans les zones franches en suspension des droits et taxes exigibles à l'importation. A leur entrée dans les zones franches, les marchandises d’origine tunisienne bénéficient des effets liés à l'exportation.

 

L’entrepôt franc, quant à lui, est un régime de transformation sous douane totalement orienté à l’export. Toute entreprise qui travaille sous le régime de l’entrepôt franc peut vendre la totalité de ses marchandises ou de ses produits directement à l’étranger ou bien à travers des cessions aux sociétés de commerce international totalement exportatrices. L’«entrepôt franc» apparaît ici comme l’appellation douanière attribuée à ces entreprises qui sont, en fait, une enceinte contrôlée en permanence par l’Administration des douanes. Ces entreprises industrielles orientées à l’export (entrepôts francs) sont considérées non résidentes lorsque leur capital est détenu par des non-résidents (tunisiens ou étrangers) au moyen d’une importation de devises convertibles au moins égale à 66% du capital.

 

Pour ce qui est du rôle des entrepôts francs, il permet la transformation ou la fabrication, en suspension des droits et taxes, des produits à partir de matières d’origine étrangère.

 

 

Dr Ghenadie RADU : Quel est l’intérêt pour les entreprises concernées par les échanges commerciaux internationaux de recourir au régime de zone franche ou à celui d’entrepôt franc ?

 

M. Jarray MOHSEN : Le régime de zone franche offre aux entreprises des procédures d’installation simplifiées, tout en bénéficiant de multiples avantages fiscaux et économiques importants. Ainsi conçu, ce régime permet d’assurer les fonctions suivantes :

  • la fonction de stockage : les marchandises restent en l’état durant une période déterminée sans être utilisées ou transformées et ce, en attendant de les affecter à une autre destination (régime douanier) ;
  • la fonction de transformation : (fabrication, complément d’ouvraison ou réparation) de matières premières ou de produits semi-finis pour obtenir des produits compensateurs destinés essentiellement à l’exportation ;
  • la fonction en lien avec les opérations logistiques : l'entreposage en vue de l’accomplissement de divers opérations logistiques et commerciales (formalités de dédouanement, de transbordement, de transit, d'exportation ou de réexportation).

La législation douanière tunisienne en matière des zones franches permet l’importation et l’exportation des marchandises avec certaines dérogations aux règles de droit commun, aussi bien au niveau de la perception des droits et taxes, qu’au niveau de l’application des formalités de commerce extérieur.

 

Le régime de l’entrepôt franc, quant à lui, autorise uniquement les opérations de transformation, malgré le fait qu’il présente presque les mêmes avantages fiscaux et économiques.

 

Les entreprises constituées en entrepôts francs peuvent importer les matières nécessaires à leur production, à condition de les déclarer auprès des services de la douane. Ces entreprises sont autorisées à importer librement le matériel et l’équipement nécessaire pour leur activité et ce en franchise des droits et taxes sous couvert d’une déclaration en douane qui tient lieu d’acquit-à-caution.

 

L’admission en franchise est étendue aux véhicules utilitaires, tels que les camions, les tracteurs routiers, les remorques et semi-remorques, ainsi qu’aux moyens de transport de personnes de dix places ou plus. A noter que les équipements importés doivent être compatibles avec la nature de l’activité de l’entreprise.

 

 

Dr Ghenadie RADU : Quel est le rôle de la Douane dans le fonctionnement des zones franches et des entrepôts francs ?

 

M. Jarray MOHSEN : Le rôle de la Douane dans le fonctionnement des zones franches consiste, avant toute chose, à contrôler les opérations effectuées par les opérateurs et autoriser l’exercice des activités industrielles, commerciales et de services conformément à la législation en vigueur.

 

La Douane met aussi en place la surveillance permanente de la zone franche, notamment aux points d’accès et de sortie des personnes, ainsi que des moyens de transport qui entrent dans la zone ou qui en sortent. Les services des douanes contrôlent ainsi les marchandises qui entrent dans les zones franches, qui y séjournent et qui en sortent. Ils peuvent aussi prendre des décisions d’interdiction d’entrée dans la zone franche de certaines marchandises pour des raisons relatives à la protection de l'ordre public, de la santé et de la vie des personnes ou la préservation de l’environnement et des végétaux.

 

Pour ce qui est des entrepôts francs (entreprises industrielles orientées à l’exportation), ils sont soumis à un contrôle douanier permanent. En effet, ces entreprises constituent des enclaves soustraites du territoire douanier et de ce fait bénéficient de l’extraterritorialité.

 

Le contrôle est assuré par des agents des douanes affectés en permanence pour le suivi des mouvements des marchandises importées et exportées par l’entreprise, ainsi que pour les opérations de transformation des matières importées.

 

Les locaux de l’entreprise doivent présenter toutes les garanties de sécurité jugées nécessaires par l’Administration des douanes. Les entrepôts francs doivent aussi tenir une comptabilité matière faisant constamment apparaître, pour chaque article importé, les quantités de marchandises en stock, les quantités de produits compensateurs et les quantités de marchandises réexportées.

 

 

Dr Ghenadie RADU : La mise en place d’une zone franche ou d’un entrepôt franc devrait, en principe, permettre de relancer l’économie d’une région. Qu’en est-il sur le terrain ?

 

M. Jarray MOHSEN : En fait, la mise en place d’une zone franche ou d’un entrepôt franc permet d’offrir aux opérateurs économiques, installés sur le territoire douanier tunisien, des conditions favorables sur le plan douanier et fiscal pour être compétitifs sur le plan international.

 

La stratégie de promouvoir les exportations et développer l’investissement se heurte aujourd’hui à ses limites, notamment en raison de la concurrence croissante des pays à bas coût. Si nous voulons continuer à accroître la productivité, nous devrions nous engager dans l’économie créative, dont les mots clés sont, outre la maîtrise des coûts, la qualité et l’innovation.

 

La mise en place d’une zone franche ou d’un entrepôt franc pourrait être regardée comme un encouragement au développement de la compétitivité industrielle et commerciale. Cette stratégie offre des incitations, des facilités et des avantages indéniables aux opérateurs économiques en Tunisie pour prendre part dans la relance économique d’une région ou d’une zone géographique.

 

 

Le mot de la fin 

 

M. Jarray MOHSEN : Les zones franches et les entrepôts francs servent de moteur à la croissance économique nationale et régionale et encouragent les investissements étrangers directs. L’expansion rapide des zones franches et des entrepôts francs est devenue un phénomène mondial bénéficiant des facilités et autres avantages accordés qui rendent ces zones et entrepôts séduisants pour les entreprises et les investisseurs.

 

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