Financement export

 

Entretien avec Madame Emilia CUJBA,

Directrice d’investissement à la Caisse des dépôts et consignations

 

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma

(formations douane et commerce international)

 

Paris, le 26 novembre 2024

 

 

Altaprisma : Merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?  

 

Mme Emilia CUJBA : Dans la finance internationale depuis plus de 15 ans, j’occupe actuellement le poste de Directrice d’investissement au sein du groupe d’intérêt général à la Caisse des dépôts et consignations, responsable notamment des volets d’investissements dans les projets d’infrastructures publiques et privées liées à la transition énergétique (ferroviaire, portuaire, aéroportuaire, hydrogène, mobilité partagée, bornes de recharges électriques, etc.). Précédemment, j’ai occupé le poste de Responsable des financements internationaux chez Bpifrance et chez Veolia.

 

Altaprisma : Que devrions-nous entendre par le financement export ? Quel est l’objectif d’un tel financement ?  

 

Mme Emilia CUJBA : Le financement export est une opération de financement structuré qui consiste à mettre en place des financements en faveur d'emprunteurs de pays émergents, dans le cadre de contrats d'exportation avec le soutien de mécanismes d'assurance-crédit publics ou privés.

 

Les financements à l’export constituent un exemple de financement lié, car le crédit export est dédié au financement d'un contrat commercial bien identifié, conclu entre un vendeur (exportateur) et un acheteur (importateur). De ce fait, l'argent prêté n'est pas mis à la disposition de l'emprunteur, mais directement crédité par la banque sur le compte de l'exportateur sur présentation de documents contractuels (contrat commercial, factures, situation de travaux, attestation de transport et de livraison, etc.).

 

Ainsi, le crédit export et son mécanisme de paiement se basant sur la remise documentaire contribuent à renforcer la sécurité des paiements en faveur des exportateurs.

 

La conséquence directe pour la banque prêteuse est qu'elle se trouve systématiquement face à deux clients : le vendeur (exportateur) et l’acheteur / l’emprunteur.

 

Altaprisma : Dans le cadre du financement export, les établissements bancaires proposent deux formes de financement : le crédit acheteur et le rachat de crédit fournisseur. Pourriez-vous nous présenter ces deux types de financement export ainsi que leurs différences ?

 

Mme Emilia CUJBA : En effet, les crédits export peuvent être accordés par les banques à l’exportateur qui a consenti un crédit à son acheteur (crédit fournisseur) ou directement à son acheteur (un crédit acheteur). En d’autres termes, le crédit fournisseur est un crédit consenti par une banque à un fournisseur afin qu’il puisse accorder des facilités de paiement à son acheteur à l’international. Le crédit acheteur, quant à lui, est un crédit accordé à un importateur/acheteur par la banque de l'exportateur.

 

Les différences majeures entre ces deux types de financements sont le montant du contrat à financer et la structuration des contrats de vente et de crédit.   

 

Le crédit acheteur est le mécanisme le plus répandu du financement export. Il porte le plus souvent sur des contrats supérieurs à 10M€ (voir plus de 30M€ pour certains établissements de crédit), s’agissant notamment d'un crédit consenti directement à l’acheteur par la banque via deux contrats distincts sur le plan juridique :

 

a) le contrat commercial conclu entre l’exportateur et l’acheteur ; et

 

b) la convention de crédit signée entre la banque prêteuse et l’emprunteur (potentiellement différent de l’acheteur). Ici la banque prêteuse contractualise directement avec l’acheteur.

 

Dans le cadre d’un crédit fournisseur, le montant du contrat commercial est en règle générale inférieur à 25M€. Le crédit est directement consenti par l’exportateur à son acheteur via un seul contrat - le contrat commercial - qui définit, en plus des conditions de vente, les délais de paiements dont le coût est déterminé préalablement avec la banque prêteuse. Une convention de cession de créance est signée, dans un second temps, entre l’exportateur et la banque prêteuse.

 

Notons plusieurs similitudes entre ces deux formes de financement (crédit acheteur et rachat de crédit fournisseur) :

 

a) dans les deux cas de financement on retrouve un exportateur et un acheteur/emprunteur. Les exportateurs sont de grands groupes internationaux, des ETI et/ou de PME, qui remportent de nombreux contrats à l'exportation. L’acheteur / emprunteur, est l'entité avec laquelle la banque va se lier contractuellement en signant une convention de crédit. Il peut s'agir d'entités souveraines (par exemple, Ministère des Finances, Ministère de l’Infrastructure et de l’énergie) ou de grands groupes internationaux (MSC Cruises, KazMunayGas, PFO Africa) représentant aussi un important « intérêt clientèle » ;

 

b) dans les deux cas, la banque prêteuse ne prend pas le risque lié au produit, elle prend seulement un risque de crédit sur l’acheteur étranger, les deux crédits bénéficient ainsi d’une assurance-crédit publique (par exemple, en France on retrouve Bpifrance Assurance Export, UKEF en Angleterre, SACE en Italie, KUKE en Pologne) ou tout autre assurance agissant pour le compte de l'Etat en fonction de l'origine des biens exportés en respectant les règles édictées par l'OCDE sur les modalités de sa mise en place :

  • le pourcentage finançable (85% maximum du montant de la part éligible du contrat) ;
  • la durée de remboursement du crédit (de 3 à 10-12 ans) ;
  • le taux du crédit.

L’assurance couvre la banque du risque politique (moratoire général, guerre, révolution ou émeute, catastrophes naturelles) ou commercial (carence ou insolvabilité du débiteur). La quotité garantie par les agences de crédit d’exportation est fixée à hauteur de 95% dans le cadre d’un crédit acheteur et s’élève éventuellement à hauteur de 100% pour une couverture d’un rachat de crédit fournisseur.

 

En complément de l’assurance-crédit publique (Agences de Crédit d’Export), les assurances privées sont très actives principalement et traditionnellement via les syndicats du Lloyd’s de Londres, intervenant sur la co-assurance, la réassurance ou la couverture du financement de l’acompte via un crédit financier d’accompagnement.

 

Altaprisma : Pourriez-vous nous donner un exemple de financement export ?

 

Mme Emilia CUJBA :  Admettons qu’il est question de financer la construction d’une usine d’eau potable sur le continent africain via le crédit acheteur. Dans le cadre du développement de ce projet, deux types de contrats distincts sont à signer :

 

a) le contrat commercial portant sur la conception et la livraison d’équipements nécessaires à la construction de la station ; et

 

b) la convention de crédit entre la banque prêteuse et l’emprunteur local, soit avec une société privée, faisant preuve d’une capacité financière à porter la dette, soit un souverain, par exemple, le Ministère des Infrastructures et de l’Environnement.

 

Ce financement sera ainsi couvert par une assurance-crédit d’export à hauteur de 95%. Les banques prêteuses peuvent aussi assurer le financement de l’acompte à hauteur de 15% via un crédit financier, couvert par l’assurance privée.

 

Altaprisma : Quels seraient les avantages du financement export ?

 

Mme Emilia CUJBA :  Le financement export présente une série d’avantages, aussi bien pour l'exportateur que pour l’acheteur. Pour l’exportateur, on peut citer, par exemple :

a) l’allègement de la structure de son bilan, aucun endettement supplémentaire n'apparaît au bilan de l'exportateur ;

b) la sécurité de paiement. L'exportateur est totalement dégagé du risque de crédit, risques politiques et commerciaux. Il est réglé au comptant au fur et à mesure de la réalisation de ses prestations ;

c) l'offre n'inclut pour l'exportateur ni provisions pour risques, ni majoration pour charges financières.

 

Et pour l'acheteur, notons :

a) la possibilité de financer son investissement à des taux plus avantageux que ceux proposés dans son pays (coût - durée) ;

b) la possibilité de varier ses sources de financement en n'utilisant pas les lignes de crédit mises en place par les banques locales ;

c) une durée de financement longue ;

d) la possibilité d'inclure les primes d'assurance-crédit dans le financement.

 

Ainsi, le financement export représente un bel outil d’aide aux exportations, mis en place principalement par les Etats industrialisés afin de soutenir l’export et l’expansion de leurs entreprises sur le marché international.

 

Le mot de la fin

 

Mme Emilia CUJBA : Le financement export est une matière passionnante qui exige une excellente connaissance de la finance (analyse financière, modélisation financière), une bonne maitrise du droit international, de la négociation contractuelle et une compréhension de la géopolitique internationale.

 

Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.  

 

 

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La version PDF de l'entretien est disponible ci-dessous.

 

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Financement export
Financement export. E. CUJBA_ ALTAPRISMA
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