Entretien avec Monsieur Jean-Michel PONCET, professionnel
des problématiques douanières
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr. en droit, Directeur d’Altaprisma (formations douane, transport et logistique à l'international).
Paris, le 21 mai 2019
Altaprisma : Merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
Jean-Michel Poncet : Issu de l’Administration des Douanes françaises, au sein de laquelle j’ai occupé plusieurs postes en Direction Régionale de 1987 à 1994, j’ai intégré en 1994 le service Douane de ST MICROELECTRONICS, avant de rejoindre en 1998 le groupe NORTEL NETWORKS, où j’étais en charge des dossiers logistiques et douaniers sur l’Europe de l’Est.
Depuis 1998 en Europe de l’Est jusqu’à ce début d’année 2019 en Suisse, j’ai travaillé au sein de différentes sociétés où j’ai été régulièrement en charge des départements logistiques et douaniers. Mes dernières expériences professionnelles avec le groupe LAGARDERE TRAVEL RETAIL sur Paris puis sur Genève, m’ont conduit à appréhender la réglementation douanière dans le secteur du duty-free et plus spécifiquement en matière de produits soumis aux accises.
Altaprisma : Pourriez-vous rappeler à nos lecteurs en quoi consiste exactement sur le plan douanier le régime de « duty-free » ?
Jean-Michel Poncet : Sur le plan douanier, le régime « duty-free » est un régime fiscal suspensif qui couvre les activités de stockage et de vente hors taxes effectuées dans les boutiques hors taxes ou comptoirs de vente situés en zone internationale des ports et aéroports.
Ce régime correspond au mécanisme de la détaxe par lequel l’Etat renonce à une perception de taxes, en l’occurrence la TVA, mais également les droits d’accises pour les produits comme alcools et tabacs qui seront achetés dans ces zones internationales pour être ensuite utilisés ou consommés dans des pays tiers à l’Union européenne.
Il est important de bien avoir à l’esprit que ce régime est uniquement applicable pour des activités de stockage et de vente de biens destinés à des voyageurs se rendant exclusivement dans les pays tiers à l’Union européenne.
Altaprisma : L’intérêt pour un consommateur voyageant à l’international d’acheter des produits dans des points de vente duty-free est compréhensible. Mais quel serait alors l’intérêt de l’Etat dans la mise en place d’un tel dispositif de vente hors taxes ?
Jean-Michel Poncet : Depuis 1990, le trafic aérien est en constante progression. Aujourd’hui les experts sont unanimes pour annoncer que face à l’émergence et à la croissance des pays comme la Chine, ou encore l’Inde, cette progression devrait encore se poursuivre et s’accentuer.
De fait, les aéroports internationaux ne sont plus seulement des points de transit obligatoires, ils sont devenus des zones d’accueil avec des secteurs commerciaux destinés à des millions de voyageurs qui sont aussi des consommateurs.
En favorisant le mécanisme de la détaxe au niveau des zones internationales, l’Etat perd certes une ressource fiscale, mais il favorise l’émergence d’une nouvelle activité commerciale génératrice de richesse et d’emplois divers, non seulement au niveau de la vente, mais également au niveau des secteurs logistiques, financiers ou encore marketing.
Au début, seules les enseignes vendant de l’alcool, du tabac et les grandes maisons de luxe étaient concernées par le régime « duty-free ». La démocratisation du trafic aérien a permis l’implantation de nouvelles sociétés proposant toutes sortes de produits allant de la mode à l’alimentation.
Ces structures commerciales jouent désormais un rôle marketing important, en devenant de véritables ambassadrices ou vitrines de prestige pour le pays qui accueille ces millions de voyageurs.
Altaprisma : Pourriez-vous rappeler à nos lecteurs le cadre réglementaire qui s’applique en matière de duty-free ? Quels seraient les principaux points à retenir ?
Jean-Michel Poncet : Du point de vue réglementaire, je retiendrai deux textes, à savoir :
- la circulaire du 7 janvier 2013, qui fixe les règles du régime fiscal suspensif (RFS).
- la circulaire du 3 juin 2015, qui porte sur l’exonération des droits d’accises sur les ventes d’alcool, boissons alcooliques et de tabacs manufacturés en comptoir de vente.
Concernant les principaux points à retenir, il est important de dissocier les produits concernés (soumis ou non aux droits d’accises) et les obligations liées à chacun, à savoir opérateurs et voyageurs.
En ce qui concerne les opérateurs désirant installer des boutiques hors taxes ou comptoirs de vente dans un port ou aéroport ouvert au trafic international pour la vente de produits non soumis aux accises, l’obligation principale est une demande d’autorisation de RFSCV (Régime Fiscal Suspensif en Comptoir de Ventes), permettant ainsi de bénéficier du régime fiscal suspensif et de pouvoir stocker et vendre des biens en suspension de TVA et autres taxes à des voyageurs se rendant dans un pays tiers.
Concernant les produits, les opérateurs sont soumis à des obligations douanières quant au placement des marchandises, qui seront :
- mises sous régime douanier spécifique (mise en libre pratique de marchandises tierces et placement simultané sous régime fiscal suspensif) pour les marchandises qui proviennent de pays tiers ;
- inscrites en comptabilité matière pour les marchandises faisant l’objet d’une livraison interne ou d’une acquisition intra-communautaire.
L’apurement du régime se fait par la vente des produits à des voyageurs se rendant en pays tiers. Cette vente sera systématiquement constatée par un document type « facture » ou « ticket de caisse » sur lequel on retrouvera une série d’informations obligatoires concernant, entre autres, la destination, la nature de la marchandise (valeur unitaire et nombre d’articles vendus), l’identité de l’acheteur, etc.
L’information concernant la destination est primordiale, car c’est elle qui conditionne ou non la vente hors taxes. En l’absence de cette information, la vente est réputée effectuée toutes taxes comprises.
A la fin du mois, l’opérateur doit produire une déclaration récapitulative qui sera mise à la disposition du service des douanes compétent.
En ce qui concerne les voyageurs souhaitant bénéficier d’achats hors taxes, la réglementation est très précise, elle aussi.
Les marchandises achetées en exonération de taxes dans des boutiques hors taxes et/ou comptoirs de vente, doivent impérativement quitter le territoire de l’Union européenne dans les bagages personnels des voyageurs. Ces produits ayant un statut spécifique ne doivent pas être reversés sur le marché national, sauf s’ils acquittent des taxes applicables à l’occasion de l’importation.
Au regard de la réglementation et afin de bénéficier de ce régime, est considéré comme voyageur une personne présente à bord d’un navire ou d’un avion en possession d’un titre de transport mentionnant comme destination finale un port ou un aéroport situé dans un pays ne faisant pas partie de l’Union européenne.
Sur le titre de transport (document sous forme papier ou dématérialisé), on retrouvera obligatoirement l’identité du voyageur et sa destination finale.
Enfin, si le voyageur a la possibilité d’acheter hors taxes quand il quitte le pays, il doit toujours garder à l’esprit que certains produits achetés, suivant leur nature et/ou leur quantité, seront soumis à la taxation lors de son arrivée dans le pays de destination.
Altaprisma : La gestion sur le plan douanier des produits soumis aux accises (notamment les produits alcoolisés et le tabac) est suffisamment complexe en soi. Gérer ces mêmes produits en régime duty-free apporte au dispositif une couche de complexité supplémentaire. Dans la pratique, et sur le plan douanier, quelles sont les particularités liées à la gestion des produits soumis aux accises dans les duty-free ?
Jean-Michel Poncet : Les produits soumis aux accises que l’on trouve en boutiques hors taxes et comptoirs de vente installés en zone internationale des ports et aéroports sont les alcools, boissons alcooliques et tabacs manufacturés.
Ces produits très surveillés sont non seulement soumis aux droits d’accises, mais en plus leur commerce, le tabac notamment, est directement réglementé par l’Etat avec un encadrement des prix de vente au détail.
Dans la pratique et sur le plan douanier, c’est essentiellement l’opérateur exploitant des comptoirs de ventes qui sera concerné par les principales mesures contraignantes.
Avant de commencer son activité, l’opérateur en question doit déposer auprès de l’Administration des Douanes une déclaration de profession permettant son identification et la localisation précise des points de vente avec l’obligation, telle que prévue par le Code Général des Impôts, d’obtenir le statut d’entrepositaire agréé lui permettant la gestion d’un entrepôt fiscal suspensif.
Il devra également déposer une demande de statut d’acheteur revendeur pour la vente des tabacs manufacturés.
Le marché des produits soumis aux accises comme l’alcool et le tabac est particulièrement sensible, ce qui fait que les obligations qui en découlent pour les opérateurs sont contraignantes et exigent une attention toute particulière.
Le suivi des déclarations de profession, la gestion quotidienne d’un ou plusieurs entrepôts fiscaux, l’élaboration des déclarations mensuelles et annuelles reprenant les différentes taxations afférentes à chaque type de produits, ainsi que le strict suivi de la gestion des tabacs et leur législation, avec entre autres l’évolution trimestrielle des prix, sont les principales obligations de l’opérateur qui souhaite vendre des produits soumis aux accises en comptoir de vente ou boutiques hors taxes.
En ce qui concerne le voyageur, les obligations sont les mêmes que pour des produits habituels que l’on trouve dans tout commerce, et cela sans oublier le fait que le voyageur qui désire acheter des produits soumis aux accises devra être âgé de 18 ans et plus.
Le mot de la fin
Jean-Michel Poncet : Le régime « duty free » est particulièrement intéressant à étudier. Sa mise en œuvre et son application sur le terrain restent néanmoins complexes, notamment pour les produits soumis aux accises.
L’opérateur économique doit être très vigilant à l’ensemble des obligations imposées par la loi, notamment au niveau de la gestion irréprochable des entrepôts fiscaux, mais aussi au niveau du suivi de la législation concernant les tabacs manufacturés et de l’évolution constante des prix fixés par l’Etat.
Le voyageur, quant à lui, doit bien avoir à l’esprit que les produits achetés hors taxes lors du départ peuvent être taxés à l’arrivée dans le pays de destination. Les produits comme les alcools et les tabacs font l’objet d’un régime fiscal spécifique dans tous les pays. Afin d’éviter tout désagrément lors de l’arrivée, il est donc impératif pour lui de bien se renseigner en amont sur les franchises accordées par le pays de destination.
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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