Entretien avec Monsieur Jean SLIWA, ancien cadre supérieur des douanes françaises, auteur d’ouvrages sur l’import-export et les contrôles
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr. en droit, Directeur d’Altaprisma (formations douane, transport et logistique à l'international)
Paris, le 28 juin 2019
Altaprisma : Merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
J. Sliwa : Fonctionnaire des douanes, j’ai exercé mes fonctions durant plusieurs années en surveillance, puis dans les opérations commerciales comme inspecteur et cadre supérieur.
Dans ce domaine commercial, j’ai notamment été chargé de contrôles physiques et documentaires dans les bureaux et a posteriori dans les écritures des entreprises, puis j’ai occupé des postes de receveur de bureaux de douane et de fondé de pouvoir dans une Recette régionale. Ceci au contact des dirigeants, des commerciaux, des chargés de produits, des comptables d’entreprises importatrices et exportatrices, des commissionnaires en douane, des transporteurs et entrepositaires, des chargés de cautionnement, etc., qui m’ont beaucoup appris sur leurs activités, leurs difficultés et leurs attentes.
Ces connaissances et l’expérience acquises m’ont amené à animer des formations au niveau local, à l’Ecole nationale des douanes, ainsi que, ponctuellement, à l’étranger, puis, durant deux années comme vacataire au CNAM et dans un IUT, et ensuite à écrire entre autres plusieurs livres qui témoignent de mon intérêt pour le partage des connaissances : « L'audit, les contrôles internes et les fraudes » ; « Le Guide des contrôles comptables » ; « L’import-export présenté, expliqué et commenté aux TPE et PME », publiés aux éditions Emerit Publishing en 2011 et 2014 et aux éditions du Puits Fleury, en 2016 ; « Le Tarif des douanes à l’import-export présenté et expliqué », Editions Edilivre, 2019.
Altaprisma : Bien que nécessaires, les contrôles douaniers restent toujours une source de grande inquiétude pour les entreprises œuvrant à l’international. Pourriez-vous rappeler, s’il vous plaît, en grandes lignes, les droits et les obligations des entreprises et des services douaniers en matière de contrôle douanier ? Qu’en est-il de l’application sur te terrain de la Charte des contrôles douaniers ?
J. Sliwa : Préalablement, il faut savoir que les contrôles concernant les flux commerciaux de marchandises sont peu nombreux, de l’ordre de quelques pourcents, ce qui n’est pas nouveau et qui relativise sur ce point les inquiétudes des opérateurs. Dans l’Union européenne, ils sont réalisés suivant les dispositions du code des douanes de l’Union (CDU), de l’article 46 notamment, et de chacun des codes des pays membres (en France, il s’agit principalement des articles 60, 61, 62, 63, 63 ter et 65).
Quatre types de contrôle sont envisageables : à la circulation (en cours de transport, terrestre notamment), lors des dédouanements, par correspondance et a posteriori dans les locaux des importateurs, exportateurs et autres intervenants (transporteurs, commissionnaires en douane, etc.). Ces deux derniers sont pratiqués après dédouanement.
Outre les codes, les obligations, les droits des entreprises et les pouvoirs des services douaniers sont mentionnés, plus explicitement sur le plan pratique, dans la Charte des contrôles douaniers accessible sur le site de la douane française http://www.douane.gouv.fr/.
Les obligations des entreprises en matière de contrôles sont à titre général de s’y soumettre, de répondre aux demandes des services douaniers, dans les conditions prévues par le cadre juridique.
Leurs droits multiples et divers résident, pour leur part :
1° dans le fait d’être présents lors du contrôle, dans la possibilité de se faire assister, de présenter des observations ;
2° en cas de constatation d’infraction, dans l’obligation faite aux services douaniers de la notifier, de motiver leurs décisions, dans la possibilité d’être entendu, de fournir les réponses dans les délais prescrits ;
3° s’agissant des suites données, dans la possibilité d’accepter ces résultats et décider d’y mettre fin par transaction en accord avec l’administration, ou de les contester.
Les contestations peuvent intervenir de différentes façons, moyennant :
1° le dépôt d’une requête auprès des responsables directoriaux du service de contrôle ;
2° les réponses en défense présentées sur les faits litigieux devant les tribunaux (cas où l’administration a déposé plainte) ;
3° une action devant les juridictions nationales administratives ou pénales, puis européenne (Cour de justice).
Ces contestations de différente nature peuvent porter sur le déroulement du contrôle, les résultats d’une analyse, l’interprétation du droit, l’existence de l’infraction, sa qualification, les conséquences, les sommes en jeu, etc.
Les opérateurs peuvent aussi de leur propre initiative régulariser des opérations non-conformes, se prévaloir des décisions de l’administration française et d’autres pays membres, par exemple, en matière de renseignements contraignants (classement tarifaire et origine).
Quant aux pouvoirs des services douaniers, ils résident dans le droit d’effectuer les contrôles qu’ils jugent opportuns dans le respect des dispositions applicables que connaissent en principe les déclarants en douane d’entreprise et les commissionnaires, étant précisé que pour les contrôles documentaires a posteriori, les interlocuteurs sont principalement les dirigeants, les comptables et experts-comptables, les chargés des opérations d’import-export de l’entreprise et/ou les déclarants en douane.
Ces derniers disposent généralement de connaissances plus étendues dans les domaines du contrôle et du contentieux douanier que les autres intervenants qui, souvent, pratiquent le droit douanier entre autres activités, d’où leur recours, quand cela est nécessaire, à des conseils.
Altaprisma : Comment se déroule un contrôle douanier ? Quels sont les grandes étapes d’un tel contrôle ?
J. Sliwa : Cinq grands principes prévalent : le caractère sélectif fondé sur l’analyse des risques prévue par le CDU, leur réalisation en présence de l’opérateur ou de l’un de ses représentants (interne ou externe), leur aspect contradictoire, la notification des résultats, en cas d’infraction la possibilité de les terminer par transaction ou d’un passer-outre, ou de les contester.
Ces contrôles, pour la plupart inopinés, portent sur les déclarations en douane, les documents joints ou devant être présentés à toute demande de la douane, sur les documents commerciaux et comptables, et sur les marchandises (examen physique, prélèvement d’échantillon pour analyse, inventaire).
Globalement, il s’agit pour les contrôleurs de s’assurer physiquement et d’après les documents, de la conformité :
1° principalement de l’espèce tarifaire, de la valeur, de l’origine, des quantités, du poids, des éléments d’après lesquels s’appliquent les droits, les taxes et les mesures douanières (exemple : contingentement) et autres (normes sur les jouets, par exemple) ;
2 des éléments statistiques et du respect des procédures.
Ces contrôles peuvent concerner une seule opération ou potentiellement l’ensemble des déclarations déposées sur plusieurs années dans les limites de la prescription, pour ceux opérés après dédouanement.
Les plus nombreux de ces contrôles portant physiquement sur les marchandises sont ceux réalisés lors des dédouanements, et les plus étendus et essentiellement documentaires, ceux intervenant a posteriori.
Altaprisma : Quelles sont les principales infractions douanières et les sanctions encourues?
J. Sliwa : Les infractions douanières se présentent sous la forme des faits sanctionnables mentionnés notamment aux articles 408 à 440 du code des douanes. Le CDU, quant à lui, ne prévoit pas de sanctions, car elles relèvent de la compétence des Etats membres. Il suffit donc de consulter ces articles pour en connaître la nature, la teneur et les conséquences et déterminer les mesures à prendre pour éviter leurs commissions.
Dans les faits, bon nombre d’infractions sont constituées d’omissions, d’inexactitudes, d’insuffisances dans l’établissement des déclarations, sans conséquence ou avec peu de conséquences sur le paiement des droits et taxes et sur les mesures applicables, sachant que potentiellement, tout déclarant est susceptible de commettre un jour ce genre d’infraction, pour diverses raisons (par erreur, omission, lecture incomplète de documents, insuffisance d’informations, communication par le fournisseur de données inexactes ou imprécises, méconnaissance réglementaire ponctuelle, négligence, etc.).
D’autres infractions revêtent un caractère de gravité plus marqué en raison des circonstances, des conséquences et de leur objet. Parmi ces infractions figurent notamment les fausses déclarations, les manœuvres (termes juridiques du code des douanes), portant principalement sur la valeur, le classement tarifaire et l’origine, ayant une incidence plus prononcée en termes de droits de douane et sur les mesures applicables.
Le montant des droits en jeu constitue le plus souvent avec les circonstances l’un des principaux critères de détermination des sanctions. C’est pourquoi les constatations opérées lors des contrôles après dédouanement sur plusieurs années et sur un nombre élevé de déclarations sont généralement plus préjudiciables.
La bonne ou mauvaise foi et les « facultés contributives du contrevenant » sont également prises en compte de même que l’état de récidive, ou non.
S’agissant des infractions portant sur les mesures, elles sont pour certaines plus graves que les précédentes, et souvent potentiellement plus sensibles. Il en est ainsi de celles concernant des marchandises prohibées, soumises à des obligations sanitaires, sécuritaires, etc., qui sont de nature parfois, du fait des sanctions, à compromettre l’activité de l’entreprise, de ses dirigeants, des personnels auteurs des faits répréhensibles.
Ces sanctions prononcées par des juges dans le cadre de poursuites pénales consistent dans la confiscation des marchandises et des moyens de transport, en des peines de prison et/ou privatives de droits.
Le statut de déclarant en douane peut être par ailleurs retiré, provisoirement, ou définitivement.
D’autres sanctions peuvent consister de même dans le retrait définitif ou provisoire du bénéfice de procédures domiciliées, simplifiées, de régimes suspensifs, etc.
Altaprisma : Qu’en est-il de la transaction douanière ? Quels sont les avantages et les inconvénients d’un tel dispositif ?
J. Sliwa : Dispositif très ancien qui a fait ses preuves, la transaction, contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques terminent une contestation (selon l’article 2044 du code civil), répondait initialement à la volonté de ne pas surcharger les tribunaux d’affaires ne présentant aucun caractère de gravité et/ou sans grandes conséquences, ce qui est le cas de la majorité des infractions commises, sachant toutefois que certaines d’entre elles peuvent porter sur des montants élevés de droits et taxes (cas des constatations a posteriori).
Ce droit de transiger prévu à l’article 350 du code des douanes présente d’autres avantages, notamment financiers pour les auteurs des infractions qui s’acquittent d’amendes d’un montant inférieur à celui prévu au code des douanes, et cela sans frais d’aucune sorte, comme les frais de justice, par exemple. L’Etat, quant à lui, recouvre rapidement les amendes et les droits et taxes non-acquittés sur lesquels il n’est pas possible de transiger.
La transaction douanière est aussi pour les auteurs des infractions un gage de discrétion, ce qui n’est pas négligeable. Ces faits non poursuivis pénalement et ces sanctions ne sont pas par ailleurs inscrits au casier judiciaire.
Sachant que si le litige est porté en justice, après jugement définitif, les sanctions fiscales prononcées par les tribunaux ne peuvent selon l’article 350 faire l'objet de transaction, ce qui fait que la discrétion n’est plus assurée.
Dans ses principes, la transaction constitue une reconnaissance de l’existence d’une infraction constatée et de sa commission ; elle est décidée et validée finalement par les deux parties qui s’entendent pour régler le litige définitivement dans les conditions énoncées. L’établissement et la signature de l’acte relèvent des autorités douanières et des responsables d’entreprise suivant un système délégataire comportant différents seuils de compétence. La transaction souscrite qui éteint les poursuites n’a pas vocation normalement à être remise en cause.
Bon nombre de contentieux se terminent aussi par la voie très ancienne du passer-outre, un moyen de règlement des infractions plus favorable encore, ne comportant que le paiement, s’il y a lieu, des droits non-acquittés, sans paiement d’une amende ni application de peines d’aucune sorte.
Du point de vue pratique, la transaction douanière ne présente pour l’Etat et les auteurs d’infractions que des avantages (hormis le fait de régler une amende pour l’auteur) et suscite peu de critiques si ce n’est celles, à la marge, qui figurent dans les rapports de la Cour des comptes consultables sur son site https://www.ccomptes.fr/, sans que ce principe de transaction ne soit aucunement remis en cause.
Précisons que la transaction autrefois appliquée plus spécifiquement par les administrations fiscales est aussi désormais prévue dans de nombreux codes, pour le règlement d’infractions autres que financières, dont notamment au code pénal depuis quelques années.
Pour en savoir plus sur la transaction, désignée aussi sous les vocables de « Règlement » et d’« Arrangement transactionnel », et sur le passer-outre, le lecteur peut se reporter aux rapports du Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes publiés au Journal officiel ainsi qu’à la Charte des contrôles douaniers précitée.
Altaprisma : Afin de sécuriser davantage les opérations à l’international, il est possible pour un opérateur économique de demander à l’Administration des douanes de contrôler un point ou un autre de son activité via le dispositif « droit au contrôle ». Les conclusions de l’Administration des douanes seront opposables aux autres services en cas de contrôle ultérieur. Qu’en est-il de l’application de cette mesure sur le terrain ?
J. Sliwa : le caractère opposable de ce droit au contrôle initié par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance (ESSOC), déjà mis en œuvre dans d’autres cadres, ne doit pas poser tel qu’il est prévu et pour ce motif, sauf cas particulier, de difficultés d’application. Sachant que dans le cas contraire, les entreprises et particuliers concernés, peuvent introduire dans les délais prescrits des actions en justice pour les faire valoir, après s’en être ouvert en principe dans une première requête aux services douaniers concernés.
Dans certains cas, le médiateur des ministères économiques et financiers peut par ailleurs être saisi (cf. site de la douane http://www.douane.gouv.fr/).
Notons que la loi ESSOC qui comporte la mise en œuvre d’autres droits : le droit à l’erreur, le rescrit, le rescrit de contrôle, comme le précise sur son site la douane, « s’inspire d’ores et déjà de certains principes de la loi dans sa relation quotidienne avec les opérateurs économiques, à travers l’accompagnement, le conseil et la sécurisation de leurs procédures douanières et fiscales.[…] Elle est avant tout une opportunité de renouveler […] les missions de conseil et d’accompagnement de la douane ». Cette loi confirme donc pour partie un état de fait très ancien.
Les modalités d’application de ces nouveaux droits sont explicitées sur le site de la douane, ainsi que dans un article récent portant sur la « Loi ESSOC : repenser l’action publique au service des usagers », Douane Magazine, n°13, pp.10-17.
Le mot de la fin
J. Sliwa : Dans l’absolu, tout dirigeant d’entreprise a intérêt à gérer cet aspect du contrôle en amont, dans les conditions indiquées ci-dessus (gestion par des employés qualifiés, accompagnement de conseils, des services douaniers) et à pratiquer lui-même - ou avec l’aide d’un tiers - par sondage, des contrôles, du genre de ceux qui consistent simplement, par exemple, en matière de valeur en douane, à s’assurer que les factures comptabilisées et les factures supports des déclarations en douane sont identiques, que les frais incorporables facturés séparément ont été déclarés.
Cet autocontrôle est d’ailleurs prévu, entre autres dispositions, par l’article 39 du CDU pour l’octroi du statut d'opérateur économique agréé (OEA), statut qui comporte en contrepartie quelques avantages, dont « un traitement plus favorable que les autres opérateurs économiques en matière de contrôles douaniers, en fonction du type d'autorisation accordée, y compris un allègement des contrôles physiques et documentaires ».
Ces contrôles internes - et des services douaniers - avant, lors de la réalisation des opérations et après dédouanement, constituent de fait un moyen d’intervention et de gestion des opérations, un garde-fou, un outil d’alerte et de couverture des risques dans divers domaines : réglementaires, organisationnels, fonctionnels, etc., dont l’utilité n’est pas toujours, à mon avis, appréciée à sa juste valeur.
Considérant que pour l’entreprise, leur objet est, outre l’examen du respect de ces réglementations, d’en tirer aussi profit, de pouvoir remédier, par exemple, aux erreurs, insuffisances, lacunes, dysfonctionnements toujours possibles dans toute entité, ceci afin d’éviter la survenance de faits contrariant le bon déroulement des opérations (respect d’une date de livraison, par exemple) et de conséquences plus dommageables (reprises de droits sur plusieurs années non répercutables aux clients, pertes d’avantages facilitant le dédouanement, de marché, etc.).
Tout contrôle peut aussi conclure que les opérations vérifiées sont correctement appréhendées au regard des obligations en vigueur et dans l’intérêt de l’entreprise, ce qu’il est utile de savoir.
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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