Entretien avec Jérôme VANDENBERGUE, Expert en achats à l’international
Propos recueillis par Ghenadie RADU, Dr en droit, Altaprisma
(formations douane, transport & logistique à l'international)
Paris, le 17 mars 2021
Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
J. Vandenbergue : Je suis un professionnel des achats à l'international pour les matières premières qui sont destinées à la transformation agroalimentaire, ainsi que des produits de négoce. J'interviens également dans la gestion des projets pour optimiser la chaîne de valeur afin de favoriser l'efficacité des flux de nos fournisseurs jusqu'à la mise à disposition des produits finis. Ma vision est transversale, afin d'apporter des solutions globales pour répondre aux exigences de l'entreprise.
Mon objectif est de maîtriser les risques (budget, disponibilité, délai, etc.) afin de faciliter l'activité des collaborateurs et gagner en efficacité.
J'ai complété cette expérience par un passage dans le monde de l'automobile, où l'attention sur les stocks est accrue. En effet, il est légalement requis qu'un constructeur puisse répondre à une demande de pièces de rechange au moins 10 ans après la fin de commercialisation d'un véhicule.
Altaprisma : Pour faire des achats à l’international, il faudrait avoir une connaissance fine des principaux mécanismes qui touchent au commerce international. A quoi faudrait-il faire attention tout particulièrement ?
J. Vandenbergue : Un achat réussi est initié par la définition précise des objectifs et donc du besoin avec les prescripteurs internes. Dans un cadre international, il est d’autant plus important d’établir avec rigueur les spécifications techniques des produits recherchés, avec une traduction exacte, au moins en langue anglaise. Gardons à l’esprit que les exigences normatives de l’Union européenne (UE) sont très élevées.
Le duo « spécifications-volumes » permet d’initier la phase de prospection en lançant des appels d’offres. Les réponses définissent les origines géographiques des produits. Nous attendons également le détail sur le mode de production, ainsi que sa composition exacte (le moyen pour confirmer l’origine au sens douanier). Je conseille, à cette étape, de vérifier les capacités de production des potentiels fournisseurs pour maîtriser le risque de rupture d’approvisionnement. Il est question aussi de contrôler si le cahier des charges a été suivi scrupuleusement, par exemple avec des échantillons. Maintenant que nous avons bien « dégrossi » le travail de prospection, il nous faut détailler les triptyques (classement tarifaire ; origine ; valeur) pour chacune des options :
Ainsi, pour chacune des offres, nous pouvons faire le calcul des coûts complets, incluant les droits de douane, pour les comparer et avoir des cibles de négociations. Dans la fiabilisation du prix, il faut aussi intégrer les conditions de paiement et le partage des responsabilités – gestion du transport, assurances, etc. – que l’on définit grâce aux Incoterms. Les délais de livraison, associés à la distance, imposent un stock tampon plus important pour assurer le bon fonctionnement des usines, donc une augmentation des frais liés, dont l’immobilisation financière. Outre les coûts susmentionnés, il faut également intégrer les frais bancaires spécifiques aux opérations internationales (avec la mise en place de la remise documentaire ou du Crédoc). Ces frais peuvent être lourds. Toutefois, si nous n’obtenons pas dans les temps les documents, les surcoûts liés au blocage des marchandises le seront encore plus.
Altaprisma : La prise en compte des Accords de libre-échange en amont de tout projet d’achat de marchandises à l’international est essentielle pour bien réussir l’opération. Quelles seraient les difficultés concernant l’application sur le terrain de ces Accords ?
J. Vandenbergue : Avant toute chose, nous avons défini la position tarifaire de nos produits. Ensuite, la prospection fournisseurs nous donne une liste d’origines envisageables. Ainsi, on peut se renseigner sur les barrières tarifaires et/ou non-tarifaires qui régissent les échanges avec ces pays. Outre les normes de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), il existe de nombreux accords bilatéraux de libre-échange (ALE). Ces ALE précisent les règles applicables aux échanges entre partenaires commerciaux. La bonne compréhension des ALE est donc capitale pour le bon déroulement de ces échanges internationaux.
Le mode de fonctionnement, d’un accord à un autre, n’est pas toujours identique et donc il est difficile de les comparer. Toutefois, il est toujours possible de faire une simulation du coût complet en prenant en considération les scenarii envisageables (je pense notamment à l’application des droits de douane préférentiels). Un autre avantage de ces accords porte sur la levée de certaines barrières non-tarifaires.
Altaprisma : Quels autres aspects devrions-nous prendre en compte pour bien effectuer des achats à l’international ?
J. Vandenbergue : Lorsque l’on envisage une opération d’achat à l’international, il faut s’intéresser aux aléas spécifiques associés. Je pense au risque de stocks, de coûts complets mal calculés, de ruptures de la chaîne d’approvisionnement, de délais de livraisons, de déclarations douanières erronées vues comme des fraudes par les autorités ou les non-conformités fournisseurs aux règles européennes (cette liste est loin d’être exhaustive). Ce dernier aspect est souvent difficile à maîtriser en amont, surtout sur le grand import, à moins d’avoir un agent de confiance sur place qui atteste que le produit suit les spécifications définies.
Mais il faut surtout pouvoir confirmer, au préalable, l’intérêt de l’opération par rapport aux volumes concernés. Si les quantités requises sont limitées, les coûts d’une opération d’achat à l’international sont souvent trop élevés par rapport aux gains attendus. D’autre part, et pour assurer la sécurité de ces approvisionnements, je préconise de travailler avec au moins deux fournisseurs, ce qui implique d’avoir assez de demandes pour chacun.
Altaprisma : En tant qu’acheteur à l’international, quel est le problème le plus complexe que vous aviez rencontré sur le terrain et comment l’avez-vous résolu ?
J. Vandenbergue : La pêche de saumon sauvage du Pacifique avec des volumes pouvant répondre à la demande industrielle se réalise sur une saison courte (au mieux de mi-juin à mi-septembre). Or, sur le marché européen, le pic de consommation se concentre autour de la période de Noël. En effet, cette matière première est majoritairement destinée à la fumaison pour répondre à une attente du marché en produit sauvage, festif. Pour complexifier la situation, les zones de pêches reculées (Alaska, Kamchatka et le Nord-Ouest canadien) rendent la logistique ardue. Mon rôle d’acheteur international était de sécuriser les volumes suffisamment tôt dans l’année en se coordonnant avec le calendrier des services commerciaux. Cela veut surtout dire être en phase avec la grande distribution, qui est le client principal sur ce marché. Plusieurs difficultés sont à intégrer. En premier lieu, nous ne pouvons pas anticiper les volumes qui seront péchés. Nous n’avons que des indicateurs et beaucoup d’intuition pour nous guider. Ensuite, il y a l’évaluation du besoin de nos clients, qui ne souhaitent pas s’engager trop tôt dans l’année pour sécuriser les volumes. Enfin, la contrainte du besoin en financement est l’une des clés du succès de ces achats. Rentrer plus de 1000T de matières à un prix élevé sur un laps de temps court est un risque financier non négligeable.
Une fois ce cadre posé, comment agir pour répondre à ces impératifs complexes ? La communication et l’échange d’informations entre toutes les parties aussitôt que possible sont essentielles. Pour cela, je m’appuie sur un réseau de fournisseurs de confiance, ainsi que des statistiques officielles afin de fiabiliser les données de l’offre. A l’autre bout, nous avons les commerciaux qui collectent toutes les tendances du marché client. Ainsi, nous pouvons dès le début du 2nd trimestre mettre en œuvre une négociation à double flux. Les volumes de nos besoins orientent l’offre du marché sur un niveau de prix pour ainsi soumettre nos offres aux clients finaux. En retour, ils reviennent avec un volume ajusté et une contre-offre qui permet une nouvelle phase de discussion avec les fournisseurs. Ce va et vient dure aussi longtemps que nécessaire, mais avec une date limite, début juillet. C’est essentiel pour certifier que les marchandises puissent arriver assez tôt dans les usines en Europe. Même si ces dates devraient être sécurisées, les disponibilités de transport maritime sont relativement limitées et combinés avec les formalités douanières ; cela peut ralentir les flux. Pour les premiers chargements, j’ai toujours prévu un mois de sécurité. Je préfère avoir une usine qui tourne dans les délais pour livrer nos clients plutôt que des pénalités de retard par absence de matière première. Pour flexibiliser mes dates de livraisons, je crée, en accord avec mes fournisseurs, des stocks tampons sur lesquels nous négocions les frais pour avoir des options de dépannage en optimisant ces coûts.
Toutefois, il y a de nombreux risques, dont le premier est le besoin d’une quantité de matière première sur une année, avec une contractualisation bien en amont de l’usage. Or même avec les meilleurs modèles de prévisions, il y a toujours des surprises que l’on gère grâce à des volumes en options sur les contrats. Sur un achat lointain et sur des produits sous forte tension, créer une relation fournisseur de confiance est la solution la plus sereine et efficace pour assurer nos volumes. La même chose s’opère dans le sens inverse afin de réduire les quantités. Si vous avez négocié dans le contrat des clauses ou options pour moduler à la baisse vos volumes, la tâche se simplifie. En somme, nous parlons ici d’anticiper les variations de volume suivant les incertitudes de la pêche. Il est connu qu’une année sur 2 les prélèvements seront « abondants ». Ainsi, sur une année faste, je préfère contractualiser un peu moins tout en prévoyant des options. Ce qui me donne l’opportunité de faire des bons coups grâce à des achats ponctuels. A l’inverse, quand il y a peu de pêche prévue, on sécurise ses volumes en prenant plus d’options pour les réduire, en cas de besoin.
Grâce à ces diverses solutions et actions pro-actives, j’ai toujours pu répondre aux attentes de ma production et donc de nos clients. J’ai surtout maîtrisé le besoin en fonds de roulement avec des livraisons dans le bon tempo.
Le mot de la fin
J. Vandenbergue : Un achat à l’international est avant tout un achat, il faut donc connaitre toutes les méthodes et techniques afférentes à ce métier. Toutefois, oublier l’aspect international est une erreur bien trop courante. D’une part, on travaille avec des cultures très différentes des nôtres et qui ne comprennent pas toujours nos impératifs. C’est à nous, en tant que demandeurs, de prêter attention aux détails et être clair. En cas de non-conformité, nous serons les premiers pénalisés. Ensuite, nous traitons bien souvent en anglais, qui est dans la plupart des cas une langue étrangère pour les 2 parties. Il y a donc un risque de mésentente qu’il faut prendre au sérieux. La distance est également un sujet, car les risques cités précédemment, de la part de fournisseurs peu scrupuleux, peuvent augmenter en cas d’import lointain. Enfin, nous devons bien suivre les règles douanières et être prudents, car elles évoluent rapidement. J’ai un dernier point sur lequel nous devons être particulièrement vigilants. Il s’agit du travail des enfants et des formes d’esclavage modernes concernant la production des marchandises. Ces pratiques doivent être combattues. Cela nous impose à nous, acheteurs à l’international, une grande responsabilité pour participer à l’évolution de nos sociétés et cela via nos décisions d’achats.
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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