Entretien avec Monsieur Pierre Conte, Consultant
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie Radu, Dr. en droit, Directeur d’Altaprisma
(formations douane, transport & logistique à l'international)
Paris, le 5 février 2016
Altaprisma : Merci d’avoir accepté l’idée et trouvé le temps nécessaire de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
P. Conte: J’ai commencé ma carrière en 1969 dans le secteur des transports internationaux comme commis en douane et ensuite j’ai évolué vers différents postes de déclarant en douane, agent de transit, commercial, chef de service et de département sur les pays de l’Est et le Moyen-Orient. Ensuite, j’ai intégré un organisme de formation où j’ai appris le métier de formateur/consultant. Dans les années 2000, j’ai successivement été directeur du développement d’un éditeur informatique de logiciels transport et douane, directeur du développement d’une société d’intérim spécialisée, Délégué général adjoint dans une chambre syndicale professionnelle représentant les commissionnaires en douane et en transport, puis Délégué général de cette représentation professionnelle et ensuite, j’ai été pendant plusieurs années Délégué à la commission internationale et douane de la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR, fédération représentant 12 000 transporteurs et auxiliaires de transport). Depuis 2013, je suis consultant/formateur en transport & douane au sein du cabinet GV Conseil, qui est aussi éditeur du Guide des Douanes et du Commerce Extérieur.
Altaprisma: Pourquoi le thème du renforcement de la sûreté de la chaîne d’approvisionnement dans les transports routiers de marchandises vous intéresse-t-il particulièrement ?
P. Conte : Depuis un certain nombre d’années, les secteurs des transports aériens et maritimes ont fait l’objet de réglementations renforcées en matière de sûreté et de sécurité, à la fois des moyens de transport eux-mêmes, mais aussi des frets transportés. Dans le secteur du TRM (transport routier de marchandises), en Europe et/ou à l’international, très peu de règles et/ou de certifications existent à part pour le transport des matières dangereuses.
Il me parait donc important que les transporteurs routiers ne soient pas oubliés, car leurs entreprises, leurs véhicules et les frets qu’ils transportent sont de plus en plus la cible de personnes mal intentionnées (voleurs, passeurs, organisations mafieuses, cybercriminels, ainsi que les terroristes).
Altaprisma : Pourriez-vous développer cette idée davantage et nous expliquer ce qui pourrait être fait en la matière ?
P. Conte : Les transporteurs routiers nationaux et/ou communautaires ne sont pas impliqués dans des opérations de transport international et ne réalisent que des transports nationaux ou intracommunautaires, qui ne sont pas soumis à des obligations douanières, et de ce fait ils ne sont pas éligibles au statut d’Opérateur Economique Agréé – Sûreté, créé par la Commission européenne (statut créé en 2005 et mis en application à partir de 2008 : cf. règlements CE n° 648/2005 et CE n° 1875/2006).
En 2006, la Commission européenne a fait une communication qui prévoyait la mise en place d’un statut d’ « opérateur sûr » pour les transports terrestres de marchandises du site d’expédition jusqu’aux opérations terminales (communication de la Commission au Conseil et au Parlement Européen, COM n° 2006/79 du 27 février 2006). Malheureusement, cette proposition n’a pas été suivie et est restée « lettre morte » à ce jour.
Altaprisma : Pourriez-vous nous résumer ce que reprend la communication communautaire que vous citez ?
P. Conte : L’objectif principal est bien sûr la sûreté des transports, qui est devenue une question cruciale, sachant qu’à ce jour aucune réglementation n’existe pour les transports terrestres de marchandises couvrant l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement.
Les objectifs de la communication sont les suivants :
- rehausser le niveau de sûreté tout au long de la chaîne d'approvisionnement sans gêner le libre cours des échanges ;
- établir un cadre commun permettant une approche européenne systématique sans compromettre le marché commun des transports, ni les mesures de sûreté en vigueur ;
- éviter les procédures et charges administratives inutiles au niveau européen et national.
La mesure proposée par la Commission est d’établir un système obligatoire imposant aux États membres de créer un label de qualité en matière de sûreté. Ce label, dénommé «Opérateur Sûr», peut être décerné aux opérateurs de la chaîne d'approvisionnement qui respectent des niveaux minimaux de sûreté définis au niveau européen, et permet ainsi la reconnaissance mutuelle du label sur le marché intérieur.
Altaprisma : Quel serait le niveau de sûreté exigé ?
P. Conte : Pour les transports terrestres, l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement présente des caractéristiques très différentes. Plus de 500 000 entreprises en France et en UE sont actives dans le seul secteur des transports et des services auxiliaires, allant de grandes multinationales à de TPE de services, présentant une extrême diversité des cultures et des établissements commerciaux. La plupart d'entre elles n'ont actuellement aucun dispositif de gestion de la sûreté et, de manière générale, les niveaux de sûreté commencent seulement à se développer.
Il conviendrait de sensibiliser davantage tous les acteurs intervenant dans la chaîne d'approvisionnement à l'intérieur de l'UE aux questions de sûreté. Le niveau de sûreté nécessaire peut être déterminé en fonction du type de marchandises transportées, de la position de l'opérateur dans la chaîne et de la vulnérabilité des infrastructures. L'adoption de nouvelles mesures de sûreté très contraignantes pour tous les opérateurs ferait s'effondrer la chaîne d'approvisionnement. Il sera nécessaire d’avoir un dosage des critères d’audit suivant la taille de l’entreprise, son lieu d’installation et le type de fret qu’elle transporte.
L’idée est que, chaque opérateur de chaque maillon de la chaîne est responsable de la sûreté de ses propres activités, et uniquement de ces dernières. Les mesures de sûreté prises par chacun s'additionnent pour assurer la sûreté de la chaîne entière. Par conséquent, il serait possible d’obtenir de manière volontaire un label et/ou une certification après audit d’«Opérateur Sûr ». Afin de maintenir l'intégrité du marché commun, chaque État membre sera tenu de reconnaître le statut d'«Opérateur Sûr» octroyé par un autre État membre, lorsque ledit «Opérateur Sûr» exerce des activités sur son territoire.
Altaprisma : Quels sont les avantages du système instaurant un statut d'«Opérateur Sûr» ?
P. Conte : D’obtenir la sécurisation du pré et/ou post transport terrestre pour les marchandises à vocation internationale et transportées par voies aériennes et/ou maritimes sécurisées. Ces derniers maillons pourraient s’apparenter à une sorte de « supply chain safe ».
D’avoir une reconnaissance à l’échelle européenne du statut délivré par une administration reconnue et de garantir un déplacement sécurisé de la marchandise. On peut aussi espérer que si cette certification existe, les assureurs adapteraient le montant de leur prime.
L'«Opérateur Sûr» pourrait démontrer à ses clients et à ses partenaires dans la chaîne d'approvisionnement qu'il est en mesure de préserver la chaîne contre des failles en matière de sûreté. Il sera plus facile de repérer les partenaires commerciaux qui se montrent responsables et attentifs aux problèmes de sûreté, préférables à ceux qui ne s'en préoccupent pas.
Le mot de la fin
P. Conte : Actuellement la FNTR relance ce concept auprès de ses adhérents pour les sensibiliser à la nécessité du renforcement de la sûreté et de la sécurité dans le TRM, ainsi que sur les risques de cybercriminalité qui augmentent et dont les transporteurs sont aussi la cible.
J’espère que les institutions européennes compétentes relanceront prochainement ce projet important pour les opérateurs et entreprises qui commercent et qui échangent des marchandises au niveau national et/ou intracommunautaire.
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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