Entretien avec Monsieur Philippe BONNEVIE, Expert en logistique internationale.
Propos recueillis par Monsieur Ghenadie RADU, Dr. en droit, Directeur d’Altaprisma
(formations douane, transport & logistique à l'international)
Paris, le 15 janvier 2020
Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps nécessaire pour nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
Ph. Bonnevie : En quelques mots, j’ai une formation principalement juridique spécialisée en droit maritime et des transports, et mon expérience professionnelle se partage entre des responsabilités fonctionnelles dans différentes structures industrielles, notamment dans le secteur sidérurgique, comme responsable Transport et Douane, et l’animation d’une organisation professionnelle dédiée à la défense des intérêts des chargeurs. J’ai donc été confronté aux Incoterms du point de vue d’un utilisateur, puis comme participant aux travaux du Comité français de la Chambre de commerce internationale (ICC).
Altaprisma : Pourriez-vous rappeler à nos lecteurs le contexte dans lequel les règles Incoterms sont-elles apparues pour la première fois ? Comment est venue l’idée qu’une certaine forme de codification des usages commerciaux internationaux était nécessaire en la matière ?
Ph. Bonnevie : La première version des Incoterms date de 1936. Il s’agissait à cette époque de codifier les us et coutumes les plus utilisées dans les échanges internationaux.
L’idée était déjà de proposer une série de règles permettant à des opérateurs, appartenant à des systèmes économiques et juridiques différents, de commercer ensemble en sécurité, la fonction de ces règles étant d’harmoniser l’interprétation des termes commerciaux afin de réduire les risques dus à un contrat de vente insuffisamment précis.
Altaprisma : Concrètement, en quoi consistent les règles Incoterms ? Pourquoi il est fortement conseillé de se référer aux règles en question dans les échanges commerciaux internationaux ?
Ph. Bonnevie : Les Incoterms de la Chambre de commerce internationale est le seul document proposant des règles uniformes mondialement partagées qui sont à la fois des concepts techniques et surtout des éléments de droit commercial international.
Concrètement, les Incoterms se composent d’un certain nombre de règles (il y en a onze actuellement), chaque règle consistant en 10 articles définissant certains concepts de base du commerce, telle la notion de livraison et de transfert des risques, ou clarifiant les responsabilités respectives des parties en matière d’échanges d’information, de réalisation des opérations de douane ou de répartition des coûts logistiques.
Altaprisma : Quels sont les changements majeurs apportés par les règles Incoterms 2020 par rapport à la version précédente, celle de 2010 ?
Ph. Bonnevie : La version 2020 est plus une évolution qu’une refonte de la version précédente datant de 2010. Ce fut d’ailleurs la volonté d’une majorité de conseils nationaux, qui ont considéré au début des travaux conduisant à la nouvelle version qu’il était souhaitable de stabiliser les règles sur le long terme pour que celles-ci soient mieux appréhendées et utilisées par le commerce.
La version 2020 propose cependant des changements voulus notamment par le comité de rédaction de ICC pour amener les acteurs économiques à choisir le bon Incoterm et l’utiliser correctement.
Parmi ces changements, on peut citer sans vouloir être exhaustif, une présentation complémentaire « horizontale » où chacune des 10 règles est présentée Incoterm par Incoterm, ce qui permet d’apprécier les différences entre chaque règle. Toujours dans le même but, la version 2020 donne plus de force aux notes explicatives. On peut remarquer également le retour en grâce des obligations liées aux opérations de douane et connexes, qui bénéficient d’un article spécifique, ou encore la reconnaissance partielle du transport pour compte propre.
Du point de vue des règles proprement dites, on peut souligner la différenciation du niveau de couverture minimum de l’assurance selon qu’on utilise un Incoterm maritime (CIF) ou multimodal (CIP), ainsi que l’aménagement (contestable) de l’article 6 du FCA relatif à la gestion documentaire, deux conséquences de la segmentation des règles selon le mode de transport utilisé, que souhaite imposer ICC.
On notera enfin la substitution du DPU à la place du DAT, un changement sans réelle conséquence sauf si le lieu de destination se situe dans les locaux de l’acheteur. Pour le reste, il y a peu de changements fondamentaux.
Altaprisma : A quoi faudrait-il faire attention quand on se réfère aux règles Incoterms 2020 ? Quelles astuces pourriez-vous donner aux opérateurs du commerce international qui sont amenés à utiliser les règles Incoterms sur le terrain ?
Ph. Bonnevie : D’abord, il conviendrait de lire les règles sans faire l’impasse sur les notes qui les précédent. Elles permettent, dans un langage clair, de mieux appréhender certains détails. La version horizontale est aussi un excellent outil pour permette de choisir le niveau d’obligation que l’on est capable de gérer.
Les très nombreuses formations que j’ai réalisées depuis septembre 2019 m’ont permis de constater que les règles sont souvent méconnues et/ou utilisées avec des aménagements qui les dénaturent, sans parler de la résistance à la spécialisation modale des règles, voulue par ICC, et qui est loin d’être intégrée par les acteurs du commerce international. L’utilisation de CFR/CIF pour des marchandises transportées en conteneur est encore très majoritaire ; la bonne utilisation des Incoterms CPT/CIP est ignorée par la plupart des utilisateurs effectifs ou potentiels, ce qui n’arrange rien. Il est vrai que la règle de livraison de ces deux Incoterms, non maitrisée par la grande majorité des acteurs économiques, ne plaide pas pour leur généralisation.
Le poids des habitudes, mais également la crainte de proposer un Incoterm mieux adapté mais inusité, pérennise l’utilisation d’Incoterms inadaptés.
Mon conseil, lorsque l’on constate qu’une règle est mal utilisée, serait de ne pas hésiter à proposer une mise en conformité, tout en expliquant les raisons qui motivent ce changement. Trop souvent, le vendeur craint une réaction négative de l’autre partie et n’ose pas prendre le risque d’une rebuffade. Or, son client est plus intéressé par la qualité de ce qu’il veut acquérir que par la règle de droit qui habille la transaction. Un peu de courage que diable !! Qui n’essaie rien …
Le mot de la fin
Ph. Bonnevie : Après avoir réalisé de nombreuses formations chez des importateurs/exportateurs, mais également chez des prestataires de services, je suis dans l’obligation de constater que les Incoterms sont souvent mal connus et donc mal utilisés. Il est clair qu’il existe un réel besoin de formation des acteurs économiques. La période de transition entre les deux versions, celle de 2010 et celle de 2020, est certainement propice pour rappeler les fondamentaux de ces règles et rectifier les errements de la pratique.
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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