L’harmonisation européenne des sanctions douanières. Observations sur un projet de directive du 13 décembre 2013

  

Par Claude J. BERR

Professeur émérite de l’Université de Grenoble

Vice-président de l’O.R.D.F

 

2 avril 2014

 

L’initiative récente des autorités de l’Union, qui « établit un cadre relatif aux infractions à la législation douanière de l’Union et prévoit des sanctions applicables à ces infractions » (Proposition du 13 décembre 2013 (COM 2013) 884 final) ne peut à première vue que susciter l’intérêt tant des autorités douanières nationales que des opérateurs économiques. A l’heure où la quasi-totalité de la réglementation douanière fait enfin l’objet d’une réécriture commune, à la faveur de l’adoption du Code des douanes de l’Union, il était de plus en plus difficile de comprendre que le traitement des violations de cette réglementation fasse encore l’objet de mesures strictement nationales plusieurs décennies après l’achèvement de l’Union douanière. Comment admettre que des agissements identiques portant atteinte à des principes communs puissent continuer à entraîner, selon l’État où ils sont commis, des sanctions allant d’une simple amende de principe à des peines d’emprisonnement ? On s’explique mal d’ailleurs qu’une telle situation ait pu être tolérée si longtemps, tellement il est évident qu’aucune justification sérieuse n’a pu être avancée en sa faveur : affirmer, comme cela a été l’argument périodiquement rappelé, que l’Union n’a pas de compétence en matière répressive, seuls les États eux-mêmes ayant conservé le pouvoir de punir les infractions, relève de la pétition de principe. Aussi bien, avait-elle été dénoncée depuis longtemps. On ne peut résister au plaisir de citer, entre autres, les conclusions d’une étude entreprise, sous l’égide de la Commission, dans les années ’70, conduite au sein d’un groupe de travail universitaire, sous l’autorité du Professeur BERR, qui appelait de ses vœux une réflexion urgente sur la nécessité de mettre fin à une situation anarchique.

 

Autant dire que la proposition de directive en jeu ne peut être accueillie qu’avec la plus grande satisfaction et qu’elle va incontestablement dans le bon sens. On en présentera, dans un premier temps, ses éléments fondamentaux, qui constituent sans aucun doute une initiative encourageante. Pourquoi faut-il pourtant déplorer que ce texte présente de telles insuffisances et de telles confusions qu’il est si loin de répondre à ce que l’on est droit d’en attendre. C’est pourquoi, dans un second temps, on n’hésitera pas à affirmer qu’il s’agit d’une tentative à remettre entièrement sur le métier.

 

 

I – Une initiative encourageante

 

L’exposé des motifs de la directive fait ressortir avec une grande clarté la nécessité d’intervenir en la matière. Il explique ensuite quelles en sont les grandes orientations.

 

A. L’harmonisation du contentieux, une nécessité indiscutable

 

Le tableau dressé des « différences entre les régimes de sanctions des États membres en matière douanière » conduit sans surprise à conclure que « au sein de l’Union européenne, la mise en œuvre hétérogène de la législation douanière rend plus difficile la gestion efficace de l’union douanière, puisqu’un même comportement non-conforme peut être traité de façons très diverses, dans chacun des États membres ». De même est mise en avant l’incidence de ces disparités de traitement sur l’égalité des conditions de concurrence, en faveur de ceux qui ne respectent pas la législation douanière dans un État membre dont le régime de sanctions est indulgent. On s’étonnera que de telles évidences aient besoin d’être rappelées.

 

De manière générale, il est affirmé que les textes communautaires en vigueur et ceux qui devront encore être arrêtés pour régler certains aspects de leur mise en application doivent viser à « approfondir l’harmonisation, à encourager l’application uniforme de la législation douanière et à apporter aux opérateurs économiques de l’Union les outils propres à développer leurs activités dans un environnement économique mondialisé ». Il faut ajouter à cela que le Code des douanes modernisé (repris dans le Code de l’Union lui-même) dispose expressément pour la première fois que « Chaque État membre prévoit des sanctions en cas d’infraction à la législation douanière. Ces sanctions sont effectives, proportionnées et dissuasives » (art. 42). On observera au passage que rien n’est dit de l’harmonisation proprement dite dont elles doivent faire l’objet. Aussi bien la proposition de directive actuelle va-t-elle, en quelque sorte, au-delà des exigences du Code lui-même, ce qui rend nécessaire l’examen, même succinct de son inspiration qu’il n’est pas interdit de qualifier de « globalement satisfaisante ».

 

B. Une inspiration globalement satisfaisante

 

L’élaboration du texte, marquée par d’innombrables consultations, notamment celles de multiples organisations professionnelles, a pour conséquence inévitable que l’on est ici en face de ce que l’on peut qualifier d’œuvre de compromis. Il fallait, d’un côté, concilier la nécessité de faire respecter strictement les contraintes de la réglementation douanière ainsi que les intérêts généraux de l’Union douanière, y compris ses intérêts pécuniaires, de l’autre, éviter le piège de la sévérité généralisée. C’est ainsi qu’a été privilégié le recours à l’idée de proportionnalité entre la gravité des faits constitutifs d’atteinte à la réglementation et le niveau des réactions envers ceux qui les commettent.

 

Il en résulte la mise en place d’un « barème » détaillé reposant sur un classement de comportements permettant d’en distinguer trois catégories. La première (art. 3) est constituée par la violation de toute une série d’obligations, soigneusement énumérées dans le texte, qui vont du « non-respect de l’obligation de conserver les documents » jusqu’à « la construction d’un immeuble dans une zone franche sans l’autorisation des autorités douanières », en passant par « le non-paiement du montant des droits dus ». On ne peut déjà qu’être troublé par la diversité de ces situations et qui n’ont de commun entre elles que d’être constituées « indépendamment de tout élément de faute » (art. 3, 1er alinéa). La directive les qualifie d’infractions douanières « de responsabilité stricte ». La deuxième catégorie s’entend de toute une série de manquements à certaines obligations (telle que l’obligation de présenter les marchandises intactes au bureau de douane de destination ou de ne les stocker que dans des locaux agréés). La différence avec la catégorie précédente tient à ce que les violations en question ne constituent des infractions douanières que lorsqu’elles sont commises « par négligence ». La troisième catégorie, enfin, énumère diverses formes de méconnaissance de certaines obligations. Il en va ainsi, par exemple, de la transformation de marchandises dans un entrepôt douanier sans autorisation. Encore faut-il que ces infractions soient commises « intentionnellement ».

 

Face à ce classement des comportements, on trouve le barème des sanctions, fixées en pourcentage de la valeur des marchandises et en fonction de la catégorie de comportement considéré. Il faut enfin tenir compte, dans la fixation des sanctions, de certaines considérations générales, prévue à l’article 12, par exemple, de la gravité et de la durée de l’infraction, voire du « niveau de coopération de la personne responsable de l’infraction avec l’autorité compétente ».

 

On arrêtera là cet échantillonnage, en concluant que, si l’inspiration du texte peut être qualifiée de « globalement satisfaisante », il n’en reste pas moins que sa lecture ne peut que susciter la réprobation, tant il comporte d’ambiguïtés et de maladresses, qui font souhaiter qu’il ne passe jamais dans cet état au rang de droit positif. Mieux vaudra qu’il fasse l’objet le plus rapidement possible à une réécriture complète.

 

 

II. Une tentative à remettre immédiatement sur le métier

 

A.- Remarques de forme

 

La lecture du texte actuel suscite chez le lecteur francophone certaines surprises, tant sa rédaction comporte des expressions maladroites, voire inadmissibles. Sans autre prétention que d’en donner quelques exemples, on citera l’article 3, j, qui parle de « l’opérateur économique chargé de marchandises non Union en dépôt temporaire ». Qu’est ce qu’un opérateur « chargé de marchandises » ? Le terme de marchandises « non Union » n’a aucune signification juridique. L’article 4, b, pour sa part, semble imposer aux opérateurs économiques une « obligation de fournir aux autorités douanières toute l’assistance nécessaire à l’accomplissement des formalités ou des contrôles douaniers ». On comprend mal le sens de cette formule, qui laisse entendre, d’une part, que l’accomplissement des formalités incombe aux autorités douanières, d’autre part, qu’elles doivent être « assistées » par les opérateurs économiques, ce qui est absurde, évidemment. On s’interrogera également sur le sens de l’expression, employée dans l’article 8, 1, qui vise toute personne occupant au sein d’une personne morale une « position de pouvoir », notion qui n’est pas éclaircie par celle, que l’on trouve un peu plus loin, de personne disposant d’une autorité « pour exercer un contrôle au sein de la personne morale ». Faut-il entendre par là l’employé chargé de veiller au bon état des installations matérielles de l’entreprise ? Assurément non, même s’il « exerce un contrôle ».

 

On ne peut que regretter également l’imprécision de certaines formules, telles que celle qui figure dans l’article 9 et l’article 10, et qui oppose l’infraction douanière qui « se rapporte à des marchandises déterminées » à celle « qui ne se rapporte pas à des marchandises déterminées ». Sauf à imaginer que cette dernière catégorie ne concerne que les propos malveillants adressés à un douanier par un touriste mécontent, il est bien rare que l’administration douanière intervienne – c’est même là sa raison d’être – sans que soit en jeu une marchandise « déterminée ». Comment admettre, enfin, que soit considérée comme une infraction, selon l’article 3, e, « la soustraction des marchandises introduites sur le territoire de l’Union à la surveillance douanière sans l’autorisation des autorités douanières » ? Il tombe pourtant sous le sens que, si les autorités douanières ont donné une « autorisation », il est inconcevable que l’on parle encore de « soustraction »… C’est l’évidence même. La même remarque vaut pour l’enlèvement ou la destruction de moyens d’identification des marchandises « sans autorisation préalable » des autorités douanières (art. 3, m).

 

En tout état de cause, si le texte devait être adopté dans son état actuel, on n’a pas de peine à imaginer les questions qui ne manqueraient pas de surgir pour les autorités nationales chargées d’en effectuer la transposition dans leur droit national. Une sérieuse révision formelle de la proposition, qui a tout au plus valeur de brouillon, s’impose donc, à défaut de quoi se multiplieront les questions préjudicielles devant la Cour. Cela étant, le plus grave est ailleurs. Il porte sur le fond même de la directive.

 

B.- Remarques de fond

 

L’ambition affichée de la proposition de directive est clairement exprimée dans le paragraphe 3.4, intitulé « Dispositions spécifiques ». Il s’agit rien moins que de dresser une « liste commune des différentes infractions […] constituant des violations des règles du Code des douanes de l’Union et englob(ant) ainsi toutes les situations que les individus sont susceptibles de rencontrer dans leurs rapports avec les autorités douanières ».

 

On aurait pu s’attendre à voir ces violations classées selon des critères objectifs et constituant en quelque sorte leurs éléments constitutifs. Or, en dehors de quelques cas simples, comme celui du non-respect, par le titulaire du régime de perfectionnement actif, de l’obligation d’apurer le régime douanier dans le délai fixé (art.3, n) ou de celui de la construction d’un immeuble dans une zone franche (v. supra), on est la plupart du temps devant le rappel d’une obligation douanière déterminée, dont on se borne à invoquer le « non-respect ». Tout praticien du contentieux douanier sait pourtant combien il est nécessaire de définir avec précision en quoi consiste exactement la méconnaissance d’une obligation douanière. La question se poserait, par exemple, dans le cas prévu par l’article 3, i, qui vise le « non-respect de l’obligation de fournir des documents aux autorités douanières lorsque cela est exigé par la législation de l’Union ». Il va de soi que si cette législation n’exige rien, on ne voit pas de quelle obligation il peut s’agir.

 

Le reproche principal que l’on peut adresser à cette prétendue classification tient surtout au fait que, loin de reposer sur des critères objectifs, elle ne se réfère qu’à l’élément intentionnel de l’infraction, qui ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune définition précise : l’expression « indépendamment de tout élément de faute » est ainsi particulièrement mal choisie, la faute étant, tout juriste le sait, une des notions les plus complexes à manier. On rétorquera sans doute qu’elle se définit en l’occurrence par rapport à la « négligence » ou encore par opposition avec les infractions commises « intentionnellement ». Assez symboliquement de la manière approximative qui a présidé à la rédaction de ce texte, on s’étonnera également de voir figurer exactement le même texte dans l’article 4, c et dans l’article 5, d, à savoir : « le non-respect, par le titulaire d’une décision relative à l’application de la législation douanière, des obligations découlant de cette décision conformément à l’article 23, paragraphe 1 du code ». Voilà donc le même comportement tantôt qualifié d’infraction commise par négligence, tantôt d’infraction commise intentionnellement !

 

Que dire, enfin, de l’article 7, aux termes duquel « les actes ou omissions visés aux articles 3 à 6 ne constituent pas des infractions douanières dans les cas où ils se produisent par suite d’une erreur imputable aux autorités douanières ». Force est d’admettre que, sous cette forme, il n’a absolument aucune signification.

 

L’examen critique du texte ne peut s’achever sans que l’attention ait été attirée sur l’autre volet du « barème » en cause, c’est-à-dire sur celui des sanctions elles-mêmes (art. 9 et s.). On constate en effet que le principe, rappelé en tête de chaque catégorie d’infractions, est que l’ensemble de ces sanctions doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives dans les limites fixées pour chaque type d’infraction. Simple rappel de la disposition fondamentale contenue dans le Code lui-même, elle est alors déclinée dans des conditions particulièrement surprenantes et qui n’échappent pas au reproche d’être tout à fait arbitraires. Est-ce qu’une amende comprise entre 1% et 5% de la valeur des marchandises (art. 9, a) peut être sérieusement considérée comme « dissuasive » ? Non moins convaincants sont les chiffres prévus aux articles 10 et 11 (15%, 30%, 22 500 €, 45000 €).

 

Mais, ce qui paraît le plus critiquable, c’est que le critère de la « proportionnalité » des sanctions est fixé, non pas en fonction de la gravité des infractions, mais en fonction de la valeur des marchandises, voire sans aucune référence « lorsque l’infraction ne se rapporte pas à des marchandises déterminées ». Rien n’interdirait, par exemple, à un État membre de frapper d’une amende de 45000 € celui qui a « injurié, maltraité ou troublé des agents des douanes dans l’exercice de leurs fonction (art. 53 du Code des douanes français) ». On arrive là aux limites de l’absurde. Certes, le texte prévoit tout de même (art. 12) que « les autorités compétentes doivent « tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, et notamment de la gravité et de la durée de l’infraction » ou encore du « montant des droits à l’importation ou à l’exportation éludés ». Mais cela ne suffit pas à l’évidence à se conformer à ce qu’il faut entendre par l’idée de sanctions « proportionnelles ».

 

On regrettera enfin que rien ne soit prévu en ce qui concerne la question, si importante en pratique, de la preuve des infractions. Comment ignorer, en particulier, la règle française bien connue qui confère aux procès-verbaux de douane une autorité quasi-absolue lorsqu’ils sont établis par deux agents, au point que celui qui conteste les faits relatés doit recourir à la procédure périlleuse de l’inscription de faux.

 

 

Conclusion

 

Le texte sur lequel on s’est borné à formuler quelques observations ne peut résister à un examen sérieux. Pour lui donner du sens, il conviendrait tout d’abord que soit clairement définie la notion même d’ « infraction » douanière, qu’on ne saurait confondre avec celle de « violation de la législation douanière ». Le droit fiscal, pour sa part, distingue clairement les simples irrégularités et les atteintes frauduleuses, qui appellent des traitements différents. Est-il admissible, par exemple, de considérer comme une « infraction » digne de ce nom « le non-paiement par le débiteur dans le délai fixé du montant des droits à l’importation ou à l’exportation » et d’en faire, en plus, une infraction constituée « indépendamment de tout élément de faute » ?

 

Dans ces conditions, la seule conclusion raisonnable qui s’impose, et quel que soit le regret qu’on en éprouve, c’est que l’ensemble de cette proposition de directive mérite d’être retiré au plus tôt avant qu’elle ne risque de produire des effets catastrophiques sur le fonctionnement de l’Union douanière.

 

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Pr. BERR Directive sanctions douanières.
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