Entretien avec Lionel PASCAL, Dr. en droit, Expert en Douanes
Propos recueillis par Ghenadie RADU, Dr. en droit, Directeur d’Altaprisma
(formations douane, transport & logistique à l'international)
Paris, le 12 janvier 2017
Altaprisma : Merci d’avoir trouvé le temps nécessaire pour nous accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?
L. Pascal : J'ai été membre de l'Administration des Douanes Françaises durant de très nombreuses années, notamment au Havre. J'ai acquis une expérience internationale à travers des fonctions de Conseiller des Douanes pour l'Amérique du Nord, les Caraïbes et l'Organisation des Etats Américains à Washington à l'Ambassade de France, puis comme expert douanier pour le compte de l'OMD, l'ADETEF, l’UE et du FMI. Pour le compte de l'ADETEF et du gouvernement français, j'ai été le correspondant auprès de la douane algérienne durant de nombreuses années et j'ai participé en Palestine à la création de l'École des Finances Publiques à Ramallah, où la matière douanière est enseignée. Pour les autres Organisations Internationales, j'ai effectué de nombreux déplacements lors de missions d'audits organisationnels des services financiers dans les pays d'Afrique francophones essentiellement. J’ai aussi travaillé pour l’ONU au titre de la lutte contre le trafic international de drogue. Enfin, j’ai co-créé un Master 2 sur la douane et la logistique à l’Université du Havre.
Altaprisma : Vous avez signé un ouvrage portant sur le statut d’Opérateur Economique Agréé (OEA) paru aux Editions Itcis et « leseditiosduNet » en 2012. Rappelons au lecteur que suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, ce pays a réagi par le renforcement du dispositif sécuritaire et de sûreté, y compris en matière douanière et commerciale internationale. Ce programme américain, appelé « C-TPAT » (Customs-Trade Partnership Against Terrorism), a inspiré ensuite l’Organisation Mondiale des Douanes, qui n’a pas tardé à proposer à tous les pays de la communauté internationale le cadre des normes SAFE (2005), qui ont repris pour l’essentiel la philosophie du programme « C-TPAT ». Le cadre des normes en question permet de guider les pays souhaitant introduire chez eux des dispositifs comparables. C’est dans ce contexte que deux amendements sécurité-sûreté ont été adoptés par les institutions européennes compétentes, en 2005 (règlement CE 648/2005) et 2006 (règlement CE 1875/2006). Il s’agit du statut d’Opérateur Economique Agréé qui est l’un des piliers du Code des douanes de l’Union (2013) applicable à partir du 1er mai 2016. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce statut ?
L. Pascal : C’est effectivement dans un but sécuritaire que le statut d’OEA a été mis en place au début de ce siècle. Mais depuis, ce statut est devenu une certification donnée par les administrations douanières. Cela englobe tous les aspects du dédouanement à l’international dont les seules procédures douanières agréées sont très minoritaires dans la liste des points à certifier ! La vérification des intrusions dans les entrepôts douaniers, la formation à la sureté des personnels ainsi que la solidité de la chaine logistique sont beaucoup plus importantes. Il faut aussi noter que la réussite de cette certification repose sur la parfaite coopération entre les entreprises volontaires à l’OEA et les administrations des Douanes. C’est l’intérêt supérieur du pays qui oblige les uns et les autres à travailler ensemble et à être exigeant ! Aujourd’hui, une entreprise qui veut exporter doit être certifiée « OEA » faute de quoi, elle sera bloquée et hyper contrôlée à chaque envoi ce qui renchérira ses coûts....
Altaprisma : Le statut d’OEA délivré par les douanes françaises/européennes est-il reconnu à l’international par les autres Etats ?
L. Pascal : Le statut d’OEA européen a été reconnu avec les États-Unis, le Japon, la Chine, ... bref toutes les grandes économies sont sur la même ligne de certification et leur intérêt bien compris est que l’autre soit aussi exigeant dans la certification que l’Europe. Une coopération « douanes-douanes » existe entre les pays ayant mis l’OEA en place. Par contre, il faut noter que les économies les plus faibles, celles dont les services des douanes et les installations logistiques, notamment portuaires, ne sont pas au top, ont un énorme retard. L’OMD avait mis en place en 2005, notamment pour les douanes africaines, un programme nommé « COLOMBUS » dont on peut regretter que la phase 3 ne soit pas encore totalement appliquée. Cela finit par nuire au développement économique du pays !
Il n’y a pas d’autre avenir au commerce international que de passer par le statut d’OEA. Même s’il nécessite des efforts importants de toute l’entreprise, le résultat final est toujours positif. Notons aussi que la réussite de l’OEA passe par la mise en place d’un contrôle interne de qualité....
Altaprisma : Quels seraient les avantages et les inconvénients du statut d’OEA pour les entreprises tournées à l’international ?
L. Pascal : Au niveau européen, le nouveau Code des Douanes privilégie les entreprises OEA parce que tout se traite par électronique et par anticipation. L’époque du « bricolage » est terminée ! Aujourd’hui les enjeux sécuritaires sont tels que personne ne peut laisser au hasard ou au « flair douanier » les contrôles à effectuer. Par ailleurs, la solidité d’une chaine se mesure à la qualité de chaque anneau ; aussi faut-il être intransigeant pour chaque partie de la chaine logistique. Ceux qui ne veulent pas s’y soumettre resteront des petites entreprises locales et ne pourront se développer car elles sont exclues de cette chaine logistique. De nombreux appels d’offres internationaux comportent une clause obligeant les entreprises candidates à avoir le statut d’OEA. C’est d’ailleurs un défaut français : nous avons environ 5 fois moins d’entreprises agrées OEA que l’Allemagne. Est-ce un hasard si l’économie la plus exportatrice par habitant et la plus forte d’Europe soit bien au dessus de nous ? Non, évidemment !
Le seul inconvénient que je vois sur ce sujet est l’absence d’incitations gouvernementales fortes pour pousser les entreprises à réaliser l’obtention de ce statut. Peut-être faudrait-il, par exemple, concentrer l’aide financière nommée « CICE » (Crédit d’Impôt pour la compétitivité et l’emploi) aux seules entreprises OEA au lieu de donner des fonds publics à des entreprises non soumises à la concurrence internationale telle « La Poste » ? Il faut que le gouvernement français mette plus de pression sur les entreprises en leur accordant ces aides à la réalisation de l’OEA.
Peut-on ainsi dire que le nombre d’entreprises « OEA » soit le critère d’une économie mondialisée et concurrentielle ? Il semble que OUI !
Le mot de la fin
L. Pascal : L’OEA est synonyme de confiance réciproque ! Celle du citoyen dans la sécurisation des échanges internationaux. L’époque est particulièrement exigeante à cet égard et aucune autorité ne peut laisser le commerce international se réduire du fait de la peur d’attentats provenant de l’étranger. Pour la surveillance des marchandises, la Douane est, dans tous les pays du monde, le pivot de la « police » des marchandises et des installations logistiques qui les reçoivent. Grâce à la mise en place de l’OEA partout, les échanges mondiaux continueront de progresser et de permettre le développement économique de tous. C’est une chance à saisir vite avant que les courants protectionnistes, voire nationalistes, n’agissent pour bloquer les échanges.
Ne jamais oublier que le commerce crée des ponts entre les peuples !
Altaprisma : Nous vous remercions pour vos éclairages.
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